VEF Blog

Titre du blog : Mario Bergeron, romancier du Québec
Auteur : Marioromans
Date de création : 01-01-2016
 
posté le 04-03-2018 à 19:29:50

Personnage réel : Ludger Duvernay

 

 

Mes créations ont été qualifiées de 'Romans historiques'. Possible! Donner un nom à une approche ne m'a jamais fait sourciller. Il est cependant évident que le contexte socio-historique de ces romans est rigoureux, particulièrement dans les douze de la série Tremblay. Dans ces livres, on peut croiser trois personnages réels : le curé Chamberland dans Contes d'asphalte, Pierre Boucher dans Le pain de Guillaume, puis Ludger Duvernay dans La splendeur des affreux.

Alors, il faut passer par des biographies, des livres d'Histoire, afin de cerner le personnage et le rendre historiquement crédible. Ludger Duvernay était un homme de lettres, fondateur de La Minerve, le journal le plus important du Québec du 19e sièĉle. Mais avant d'y arriver, Duvernay avait habité Trois-Rivières, ouvert une imprimerie et lancé le premier journal de la ville : La Gazette des Trois-Rivières, qui prendra aussi le nom de Constitutionnel. Duvernay fut aussi un grand patriote et on lui doit la fondation d'une fête nationale, dite Saint-Jean-Baptiste, qui a depuis lieu à chaque 24 juin annuel.

Ludger Duvernay se montre aimable envers mes deux héros : Étienne le Bossu et son épouse, Jenny l'Irlandaise. Cette dernière est très impressionnée par l'homme, le jugeant séduisant et provoquant chez elle des rougissements d'admiration. Avant tout, le couple, souvent méprisé par les gens de la ville, se sent flatté par l'amitié que leur porte le grand homme.

L'extrait : visite familiale chez monsieur Duvernay, qui incite Étienne è faire publier une publicité dans son journal.

 

 

         J’enfile ma robe du dimanche et Étienne porte son habit des grandes occasions. Marie ressemble à une petite princesse et Isidore à un prince qui préférerait jouer dans la boue. Nous marchons comme une famille unie jusqu’à la résidence de monsieur Duvernay. Nous le surprenons un livre à la main. Avant même qu’il ait terminé de nous souhaiter la bienvenue, je lui tends les biscuits encore chauds. Leur parfum fait en sorte que la présentation imaginée par Étienne devient inutile.

         Je veux savoir ce qu’il lit. Un penseur de France, du nom de monsieur Voltaire. Monsieur Duvernay me dit que les grands chantres de la justice, de l’égalité et de la démocratie viennent du pays des ancêtres des Canadiens. Les Américains, et leur pays sans roi, ont retenu la sagesse des leçons de ces Français. Tout de suite, monsieur Duvernay nous parle de politique. Ce sujet ne devrait pas me concerner, mais je l’écoute religieusement, tout comme Étienne, très intéressé. Le système politique des deux Canadas n’est pas démocratique. London place ses riches amis au parlement et ces trèfles à une feuille empêchent toutes les initiatives des députés canadiens, muselant ainsi le peuple qui les a élus. Il nous entretient avec enthousiasme de monsieur Louis-Joseph Papineau, le chef du Parti canadien, puis de l’importance d’éduquer tout le monde sur la politique. Son journal Le Constitutionnel sert à cette importante tâche.

         Monsieur Duvernay prétend que les lectures publiques sont essentielles pour que les personnes ne possédant pas la science des mots puissent profiter de la parole de ceux qui en bénéficient.  (...) Son journal a des abonnés à Montréal, à Québec, à William-Henry, à la Rivière-du-Loup, à Berthier et dans nombre d’autres localités. «Voilà une bonne façon d’élargir votre clientèle, monsieur Tremblay.» Il propose à mon époux de faire publier dans le journal un petit texte pour dire qu’il travaille comme maréchal-ferrant et constructeur de voitures. Je sais que la vantardise n’est pas dans la nature de ma petite bosse d’amour, mais je lui secoue l’épaule pour lui signifier que je crois que voilà une très bonne suggestion. Les mots d’Étienne pourraient se transformer en lettres et ainsi, tout le monde au Bas-Canada entendrait sa voix! Ce serait impressionnant!

         «Sachez que monsieur Étienne Tremblay, des Trois-Rivières, jouit d’une réputation enviable comme maréchal-ferrant. Il peut aussi construire et réparer des voitures pour toutes les saisons, et prendre un soin jaloux de vos chevaux. La maison de monsieur Tremblay est située rue Notre-Dame, non loin du couvent des ursulines. Monsieur Tremblay sera ravi de vous offrir un travail de qualité.» Quelle merveille! Quel beau langage! Il ne fallait pas écrire: «Sachez que monsieur Étienne Tremblay t’est t’un maréchal-ferrant…» Il nous fait signe de le suivre jusqu’à son atelier, où il assemble chacun des mots avec des lettres de plomb, tout en continuant à nous parler. Étienne se penche pour mieux voir ce travail hors de l’ordinaire, puis explique à Isidore le miracle de l’imprimerie. Notre garçon semble indifférent, au contraire de Marie, qui pose des questions à monsieur Duvernay, amusé par sa curiosité. «Vous croyez que je vais t’avoir t’autres clients avec ceci?» Certes! Pourquoi en douter? Nous-mêmes aimons  savoir ce que les gens d’autres villes ont à offrir. J’ai pu apprendre le tarif du vapeur qui fait la navette entre Québec et Montréal, et même connaître le nom de son capitaine!

         Monsieur Duvernay regarde Isidore, pose une main sur son épaule et lui dit qu’il est l’avenir de la nation, mais afin que chaque homme et chaque femme du Canada voit la lumière, il faut savoir lire et écrire. Je crois que cette sage parole touche plus mon mari que mon fils.