Quand un auteur signe un contrat avec une maison d'éditions, son texte devient la propriété de l'éditeur, jusqu'à la fin du contrat. Donc, ces gens peuvent faire ce qu'ils veulent du manuscrit, cela sans l'avis de l'auteur, bien qu'il y ait toujours une aimable collaboration et consultation entre les deux partis.
La première chose que j'ai apprise de cette situation et qui m'avait beaucoup surprise : l'éditeur peut changer le titre du roman. Le créateur, pour sa part, a vécu avec un titre qu'il jugeait représentatif du contenu du livre. Ce n'est pas toujours le cas pour les titres imposés par ces pros.
En onze romans publiés, cinq ont vus leurs titres changés et un autre avait provoqué une vive protestation de ma part. De ces cinq initiatives : deux bonnes idées : Ce sera formidable, Perles et chapelet. Deux mauvaises idées : Les fleurs de Lyse et Les Bonnes soeurs. Puis une abomination : Le Petit Train du bonheur.
Pour parler de tout ça, l'éditeur était venu jusqu'à Trois-Rivières, m'avait invité dans un restaurant (Type de lieu que j'ai en horreur). Nous parlions de choses et d'autres quand, à la fin, il me dit que mon titre, Tremblay et fils, n'allait pas du tout. "À la place, nous avons choisi Le Petit Train du bonheur." Je me souviens avoir rougi, avant de réagir : "C'est quétaine et ne représente pas du tout le contenu du livre." Lui, par politesse : "Si tu as une bonne idée, communique avec moi". Ah si, j'en ai trouvé, des idées, mais à quoi bon? La sienne était faite.
Dans le roman, Le Petit Train est le nom d'un casse-croûte ouvert par Joseph, père de Roméo, héros du roman. Passe encore, mais ce restaurant n'est pas le centre du livre, ni son objet principal. Pour le bonheur, cela pouvait aller pour l'évocation de l'enfance de Roméo qui, grandissant, sera un jeune homme tourmenté. Pas trop de bonheur non plus quand il va ramasser des cadavres de soldats sur un champ de bataille pendant la guerre 14-18. Bref, son titre n'avait aucun lien avec le roman. Kitsch en profondeur.
Je jure sur mon honneur que je n'ai jamais prononcé ce titre publiquement. Dans les salons du livre, je disais : "Le premier tome", "Mon premier roman" (même si c'était le second) ou "Celui-là." Il y a eu aussi une réaction répétée de la part du public de ces salons : "Oh, le petit bonheur de Félix Leclerc", "Oh, le petit train de Félix Leclerc." J'avais envie de mordre! Vingt ans plus tard, ce titre me donne encore la nausée.
Quant à ma protestation, elle a été réservée pour Contes d'asphalte. Il ne voulait rien savoir de ce titre et j'ai haussé le ton. Je me souviendrai toujours de sa réaction : "Correct! Mais tu vas l'assumer, ton maudit titre!" Ce que j'ai fait, poussant la vente de ce roman au détriment des autres dans les salons. D'ailleurs, les gens ont beaucoup aimé ce titre, qui représente parfaitement le contenu du livre.