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Titre du blog : Mario Bergeron, romancier du Québec
Auteur : Marioromans
Date de création : 01-01-2016
 
posté le 12-03-2018 à 05:57:29

Extrait : Le fantôme du stade

 

 

En 1969, un garçon de treize ans se rend au stade de baseball de Trois-Rivières pour applaudir la nouvelle équipe des Aigles. Dès le début de la rencontre, une balle est frappée avec puissance et l'atteint dans le front. Le garçon meurt immédiatement. Cependant, il se réveille dans le stade déserté, cherche en vain à sortir. Il a la surprise de revenir à la vie quand une joute est présentée, pour tout de suite retourner à son état de fantôme dès la partie terminée. Il passera ainsi 45 années.

Je suis fier de ce texte parce qu'il ne déroule à 95 % que dans un seul lieu. Content aussi car malgré le sujet, ce n'est pas un roman sur le baseball. C'est à la fois tragique et drôle, un peu science-fiction, mais de façon terre à terre. Voici un extrait où les gens se rendent compte que l'adolescent décédé est toujours vivant. Photo ci-haut : le stade où mon héros a passé tant de décennies sans jamais pouvoir en sortir.

 

 

         Six jours plus tard et je suis encore là. Six! J’ai raté une semaine d’école et je n’ai eu aucune nouvelle de mes parents. J’ai tenté de fracasser les vitres des portes, de briser la clôture et j’ai même grimpé sur une des tours d’éclairage pour me jeter de l’autre côté. À chaque occasion, il ne se passait rien. Le monde existait pourtant à l’extérieur! J’entendais les automobiles passer sur le boulevard du Carmel, je voyais les religieuses dominicaines se balader dans leur jardin. Quant au personnel du stade, il n’y avait rien à faire avec eux!         Le pire moment de cette semaine a été quand j’ai mis la main sur le journal local et que j’ai vu une photo de mes parents lors de mon enterrement. Même le maire de la ville s’en est mêlé pour dire qu’il était désolé qu’un tel drame se soit produit au stade. Et le drame que j’existe toujours et que personne ne me voit ni ne m’entend? Est-ce qu’il va faire la première page du Nouvelliste? Ils en ont même parlé à la radio. Oui, j’entends très bien! Je touche tout et ressens le froid ou la chaleur des objets! Je peux même manger, pisser et… Mais aussitôt que je termine un sac de chips, il se remplit et se ferme comme par magie. Et ma tête dans le miroir, est-ce que c’est un esprit? Si je me pince, ça me fait mal. Le gars qu’ils ont enterré, ce n’est pas moi! Impossible!         La vie se poursuit pour tout le monde, n’est-ce pas? Les Aigles ont gagné deux fois, perdu une autre rencontre à Québec et Carlos a solidement cogné la balle. Il semble que les joueurs vont porter un brassard noir pendant un mois pour honorer ma mémoire. La belle affaire! Je suis d’ailleurs dans le vestiaire quand l’équipe arrive pour renouer avec ses partisans. L’instructeur Nick Testa fait un long discours, dont je ne comprends que quelques mots épars. Mon English is encore juste en neuvième année, you know. Tout ça se termine par des « Come on! Come on! » et les hommes qui frappent solidement le creux de leurs mains.         Qu’est-ce que j’ai à perdre? Je vais regarder la partie. Après tout, l’autre, je ne l’ai vue qu’une demie manche! Et puis, je n’aurai même pas besoin de payer mon billet d’entrée. Il y aura foule et sûrement qu’un spectateur arrivera à me voir. Oh! voilà une minute de silence en ma mémoire… « Bande de niaiseux! Bande de niaiseux! » Je ne devrais pas hurler une telle chose, mais comme je sais que personne ne m’entend… Je m’assois près du siège fatal. Voici la présentation de nos Aigles en défensive. L’organiste se met à l’œuvre. Carlos recommence son jaspinage vers ses coéquipiers. « Playball! » de crier l’arbitre. Ils ont arrêté tout de suite, regardant en ma direction. J’ai nettement vu Carlos devenir blanc, arrondir les yeux, échapper son gant, avant de tomber dans les pommes. Hourrah! Je viens de ressusciter! Vite! Dehors! Je cours dans la rangée, ignorant les hurlements des femmes en ma direction. Je traverse le lobby comme une flèche, me précipite vers la porte et… Impossible d’ouvrir! Je pousse, frappe! Rien à faire! Encore cette sensation du mur invisible infranchissable! Une autre issue! Le grand patron des Aigles m’intercepte. Ah! cette fois, il me voit! Ça fait des jours que je lui parle, l’engueule. Sans oublier tous ses employés ayant subi un pire traitement. Personne ne m’empêchera de sortir de ce stade! Mes parents doivent être rongés par une inquiétude épouvantable parce que quelqu’un a enterré un gars en leur faisant croire que c’était moi.          « T’es le jumeau de Daniel Raymond? » Qu’il me fiche la paix, cet homme! Je dois m’en aller!  Je me lance partout, bondissant sans cesse contre les points de sortie, même par la grande porte du paddock, entièrement ouverte, assez large pour laisser passer un camion. Tout le temps, l’homme des Aigles me poursuit, ordonnant de demeurer calme. « Nous allons agir de façon rationnelle, mon garçon. Je vais téléphoner chez tes parents, la police et les ambulanciers qui sont venus te chercher lors de l’ouverture de la saison. » Rationnel, mon œil! Je ne suis pas mort! Il le voit très bien, non? Voilà les deux responsables de l’entretien qui m’immobilisent.          La police arrive avant mes parents. Les agents me posent des questions stupides et ne croient aucune de mes réponses. Ils me regardent comme un délinquant immonde qui aurait monté le pire canular de tous les temps. Quand  mon père et ma mère se présentent, les flics passent en dernier lieu. Maman crie et pleure, m’ouvrant les bras. Papa semble abasourdi. « T’es mort! Je ne suis pas fou! On t’a mis en terre! » Tout le monde me confirme ce que j’ai vu dans le journal : j’ai une pierre tombale dans le cimetière Saint-Louis, tout près d’ici. Mon père me montre une photo de moi dans le cercueil et je me sens alors très, très mal…Ah! et puis au diable, tout ça! Je prends le bras de ma mère et marche fermement vers la porte et me cogne dans le vide de l’extérieur. Un policier, plus jeune que ses confrères, suggère de monter sur son dos pour sortir, sous prétexte que mes pieds ne toucheront pas le sol. Ça ne fonctionne pas : je demeure en dedans, alors qu’il est dehors.          Je réponds à ses questions. Oui, j’entends tout ce que les gens disent quand ils ne me voient pas. J’entends tous les sons de l’extérieur. « Je crois que tu es bel et bien mort, Daniel, mais que tu as une vie parallèle ne dépassant pas les limites de ce stade. Ne sourcille pas, car tu n’es pas seul au monde. J’ai lu un article, il y a quatre ou cinq années, sur un homme de l’Oklahoma mort d’une crise cardiaque dans un centre commercial. Sauf qu’il ressuscite quand les boutiques sont ouvertes. Il devient esprit lors de la fermeture. » Moi et les histoires d’esprit! Je lui fais remarquer que lors de mes disparitions, je me vois très bien dans le miroir. Je mange! Je parle et m’entends! Je fais pipi! Je pousse toutes les portes de ce stade, sauf celles menant dehors. Le policier m’écoute attentivement, les doigts sur le menton.

         La discussion s’éternise et personne ne voit arriver la fin de la partie. Alors, je disparais et je vois tous ces gens devant moi devenir pâles, après avoir hurlé à l’épouvante. Ma mère est hystérique, pleure comme une cinglée. Les spectateurs arrivant des estrades se demandent ce qui se passe. Je me lance dans le dos d’un costaud, qui ne ressent rien, et, bien sûr, il sort, alors que moi…  Dans ce tumulte, seul le jeune policier demeure calme.

 

 

Commentaires

Marioromans le 14-03-2018 à 19:42:43
Au début, il est un peu révolté. Mais, progressivement, il se fait à la situation. Les gens du stade lui préparent un petit coin douillet et le public, tout autant habitué, accepte sa présence. Il se met à faire des trucs dingues, comme manger 45 hot-dogs, sans que cela ne le fasse sourciller, car un fantôme n'a pas de corps. Ses amis le visitent, sachant qu'il les voit. Alors, ils se réunissent pour fêter, écouter de la musique, avec les gars assis face à une chaise qui, pour eux, est vide. Son seul contact avec le monde extérieur provient de la télévision et de la radio.

Puis un jour, bien plus tard, un jeune chat le voit. Le seul être vivant pouvant apercevoir le fantôme. Son existence change alors, mais quand le chat meurt, après des années, le choc est si grand que mon héros retourne à la vie et peut sortir du stade. Il est alors âgé et ce qu'il voit dehors le décourage beaucoup...
Maritxan le 14-03-2018 à 19:33:01
L'histoire n'est pas très réjouissante, mais je t'avoue que j'ai envie de connaître la suite. Je trouve ce scénario très intéressant. Ton imagination est débordante...

@+
hazel le 14-03-2018 à 00:05:23
Très intéressants, continue Mario
Marioromans le 12-03-2018 à 08:46:23
Ce sont des choses qui arrivent rarement.


L'idée m'est venue au stade, parce que je prenais place assez près de l'action (sur les bancs tout juste au dessus de ce qui est jaune) et une fois, une balle frappée dans ma direction a été évitée de justesse. Elle arrivait très rapidement ! Sur les bancs orangés, il y a moins de chances d'un incident, car la balle a l'habitude de monter et de ne pas arriver comme une flèche. Mais tout ça n'est pas monnaie courante.
johnmarcel le 12-03-2018 à 07:01:11
Triste car ça me fait penser à ce jeune supporteur de l'équipe de hockey-sur-glace de Dunkerque de 9 ans tué lorsqu'il a été touché par un palet renvoyé par un joueur au début de 2014.