Le danger des romans dits historiques est de transformer une fiction en un cours d'histoire, en paraphrasant ce que les auteurs ont glané dans des manuels de la science historique. C'est ignorer que les gens d'une époque donnée ont vécu la chose avec leur culture, leurs sentiments, leurs croyances, et non selon l'interprétation qu'en feront des historiens des décennies plus tard.
Ce sera formidable se déroule dans le dernier quart du 19e siècle. Joseph, mon personnage vedette, était friand de modernité, de nouveautés. Le plan du roman avait été établi en ce sens, en donnant de multiples coups de sonde dans les journaux de l'époque. Ainsi, dans le roman, beaucoup de choses qui peuvent paraître anecdotiques sont des réalités de l'époque. C'est le cas de cette démonstration de lumière électrique, tenue par des représentants de la compagnie Edison. Il va de soi que Joseph. témoin, trouve le tout fantastique. Pas le cas de sa petite amie Marguerite, davantage traditionnelle. Sa réaction a sans doute été la même que pour beaucoup de témoins. Vous verrez!
Quoi qu’il en soit, le grand jour du samedi, 20 avril 1889, date dont on se souviendra les dix prochaines générations, je suis présent, endimanché, à l’image de la plus grande partie de la population. Nous attendons le coucher du soleil. Le maire et ses conseillers s’agitent sur place, anxieux, entourés des représentants du géant Edison. Et soudain! Oooooh! Une clarté in-cro-ya-ble! Si nette et franche! Tout le monde applaudit et s’exclame avec joie. J’ai les larmes aux yeux, mais Marguerite cache les siens.
- Ça m’éblouit, Joseph! J’ai mal!
- Parce que tu n’es pas habituée. Enlève ta main et tes yeux vont s’adapter après deux minutes.
- Je suis certaine que c’est dangereux! Je veux retourner chez nous!
- Regarde les fenêtres de l’hôtel. Claires comme en plein jour! Un miracle, Petite Fleur! Un instant féérique de la modernisation, un moment qui…
- Je veux m’en aller à la maison! Tout de suite! »
Passé le nord de la rue des Champs, il faut allumer le fanal pour bien se guider dans le chemin qui mène vers les ponts. Encore plus noir au Cap-de-la-Madeleine! Pour une rare fois qu’il n’y a pas de chaperon entre nous, je pourrais profiter de l’occasion pour tenter d’obtenir un baiser ou prendre ses mains, mais Marguerite presse le pas. Je vois la faible lueur d’une chandelle éclairer une fenêtre de sa maison. Madame Turgeon veille avec cinq ou sept de ses enfants. Petite Fleur s’empresse de leur raconter comme la lumière de l’électricité attaque violemment les yeux. Une demi-heure plus tard, la mèche de mon fanal s’éteint et je marche à tâtons pour rejoindre les ponts, priant pour ne pas croiser un putois. La rue Notre-Dame a retrouvé la terne luminosité des lampadaires au gaz. Des badauds flânent et parlent du grand moment qu’ils ont vécu. Je me mêle à eux et tout le monde s’accorde pour affirmer que la lumière électrique paraît mille fois plus belle que l’autre.
La ville de Trois-Rivières ne retiendra pas l'offre de la compagnie Edison, se tournera, un peu plus tard, vers une autre entreprise. Seules les rues commerciales et celles des maisons bourgeoises seront éclairées à l'électricité.
Je me suis beaucoup amusé avec l'idée de l'électricité, dans ce roman, dont ce moment où Joseph met la main où il ne fallait pas en changeant une ampoule.
Quant à Marguerite, elle fera preuve de la même crainte envers le téléphone, le cinéma et quand Joseph aura l'électricité dans leur maison.