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Titre du blog : Mario Bergeron, romancier du Québec
Auteur : Marioromans
Date de création : 01-01-2016
 
posté le 12-04-2018 à 05:44:09

Louis au Rialto

 

 

Un roman écrit sur un coup de tête, alors que je venais de lire consécutivement trois autobiographies. Ce type de livres est plein de clichés et se présente souvent prétentieux. Alors. j'avais décidé qu'une parodie du style pourrait être amusante à créer. Le titre est : Louis Roy : mon espoir, ma vie, ma carrière. Un personnage fictif. Dès son plus jeune âge, il avait décidé de devenir un artiste public, désireux d'imiter son grand-père, un vieillard avec toujours une chanson ou une histoire au bout des lèvres.

Louis Roy sera avant tout un pianiste et chanteur, mais il tournera dans des films, animera au petit écran et à la radio, jouera au théâtre, sera de la distribution de téléromans et écrira des livres. Le tout en dents de scie, pendant cinquante années. mais le personnage demeure toujours sympathique. Je me suis beaucoup amusé à déformer des noms, tels Charles Traîner, Félix Éclair, Françoise Hardiesse, Georges Brasser, etc.

L'extrait : Louis a quatorze ans et fait partie d'un groupe pour animer des soirées de danse, du nom des Rois du Rythme. Le groupe est appelé à accompagner des chanteurs et chanteuses, lors d'un concours d'amateurs au cinéma Rialto de Trois-Rivières, le tout diffusé à la radio. C'est là qu'il rencontre Peter, personnage caricaturel plutôt rigolo qui sera présent tout au long du roman. Nous sommes au début des années 1950. Bienvenue au Rialto !

 

 

Le Rialto a la réputation d’une salle de peu d’envergure, en comparaison avec le Capitol, l’Impérial et le Cinéma de Paris, mais à mes yeux, chaque samedi, c’est un palace, parce que je trône sur scène et que mon jeu de piano peut être entendu dans des centaines de foyers. Je sais que le public me pointe du doigt en chuchotant que « le pianiste est si jeune. » Ces trois-cents personnes applaudissent les concurrents, mais j’ai le sentiment que tout m’est destiné.    

J’aime bien le technicien, toujours décoiffé, sa cravate détachée, sorcier devant tant de boutons. Il s’est vite présenté à moi, m’ayant vu dans les petits spectacles des Compagnons, alors qu’il accompagnait sa jeune sœur. C’est un photographe, attiré par les caméras du cinéma et de la télé, mais en attendant de trouver un poste, la radio lui permet d’acquérir de l’expérience technique. Son prénom : Richard, mais, bien sûr, il se fait surnommer Peter. Son nom de famille? Le même que son prénom. Richard Richard!  

L’animateur, monsieur Massicotte, me semble blasé. Il ne parle pas beaucoup aux gens de l’équipe et quand il s’adresse à la foule, pour leur commander de ne pas siffler ni de crier, on jurerait qu’il est fâché. Cependant, dès que l’émission entre en ondes, il parle avec un grand sourire fendu jusqu’aux oreilles, avec un accent impeccable.        

Les concurrents sont priés de chanter en français et le folklore est permis, à condition que les pièces proviennent des recueils de l’abbé Gadforêt. Hors la femme avec un blanc de mémoire que je viens de mentionner, il n’y a eu qu’un incident, attirant la sympathie du public. Un homme avait oublié les paroles, remplacées illico par une suite de « Là là là » avec invitation à promptement taper dans les mains. Pas gagné, mais chacun s’est amusé.        

À la fin de chaque émission, des gens approchent de la scène pour connaître l’âge du « petit pianiste ». En fait, je ne suis plus petit. J’ai allongé subitement et j’arrive même à me raser à tous les trois jours. Ma mère m’en finit plus de réparer mes chemises et mes culottes, si bien qu’un jour, elle a tout jeté en ordonnant à mon père de me donner de l’argent pour renouveler ma garde-robe. Après l’émission, nous avalons un sandwiche dans la Ford de Pierre-Jean pour rouler jusqu’à Saint-Tite, revenir après minuit, se lever à sept heures et recommencer dans un autre village.         

Les mois passent et je continue à prendre de l’expérience. Une chose semble certaine : monter sur scène ne m’énerve pas du tout. L’émission est populaire, mais les Rois du Rythme y demeurent anonymes. Le public n’a d’applaudissements que pour les concurrents.          J’entends des gens doués, puis d’autres beaucoup moins. Ceci me permet de voir ce que je ne devrai pas faire, lorsque mon grand moment sera arrivé. Physiquement, la plupart de ces personnes sont statiques, avec parfois une gestuelle un peu cliché, comme mettre une main sur sa poitrine quand les mots Amour et Cœur font partie de la chanson. Vrai que pour la plupart, c’est la première fois de leur vie qu’ils voient un microphone et que Peter leur recommande de chanter devant l’appareil et de ne pas le quitter des yeux. Je m’entends bien avec ce jeune homme amusant, toujours décontracté. Il me surnomme « Fils ». Il adore le cinéma et peut me raconter cent films. Quand je lui ai dit que je n’ai jamais vu un vrai film de ma vie, à cause de la loi interdisant aux moins de seize ans d’entrer dans les salles, Peter a soupiré : « Laisse tomber cette niaiserie, fils! Présente-toi et ils vont te laisser entrer. Les salles perdent leur clientèle depuis que tout le monde s’est décidé à acheter un téléviseur. »