Lors de la création du roman qui deviendra L'Héritage de Jeanne, mon plan avait prévu une finale où, presque simultanément, la soeur de Roméo, un de ses fils et son père quittaient ce monde. À cette étape, j'ai alors pensé que c'était une finale moche et trop triste. J'ai gardé cet élément, mais en ajoutant une idée surprise, tout à fait dans le ton fantaisiste du personnage Renée.
Le manuscrit entre les mains, l'éditeur m'a envoyé un courriel me sommant de changer cette finale, parce que "Ça n'a pas de sens!" Par contre, le comité de lecture (deux personnes) a trouvé mon idée formidable. Ils ont gagné. Lors des salons du livre, j'ai eu des réactions du lectorat à propos de cette finale hors de l'ordinaire. Tout le monde a été étonné, mais ravi. Ceci se déroule en 1946. À vous de juger!
Je suis morte le 31 décembre 1999. Quel dommage ! J’aurais tant aimé voir ce fameux an 2000 dont tout le monde parlait. Me rendant en visite chez Sousou, la meilleure amie de toute ma vie, j’ai glissé dans son escalier et me suis cogné la tête contre un rempart de briques. Quelle façon patate de mourir ! Mes enfants, Bérangère, Marie-Lou et un tas de Tremblay assistaient à mon enterrement. C’était un événement assez triste, mais j’étais quand même contente de tous les voir.
Je suis montée immédiatement au Paradis. J’ai eu très peur, au départ, car j’avais réintégré le corps de mes vingt-deux ans. Saint Pierre – qui ressemblait étrangement à Cary Grant – m’a expliqué que, pour la vie éternelle, nous prenons la forme humaine du moment où nous avons fait le plus de bien dans notre vie. À vingt-deux ans, j’allais dans les parcs de Trois-Rivières avec Jeanne et Bérangère. C’est fantastique d’avoir vingt-deux ans pour l’éternité et de porter ma coiffure de jitterbug ! Après cette joyeuse annonce, saint Pierre m’a emmenée à la maison Tremblay, où tous les miens, qui avaient mérité leur Ciel, m’attendaient avec le corps du meilleur moment de leur vie.
Papa avait vingt-huit ans et maman treize ! Grand-père Joseph était de mon âge ! Mais tante Louise était très vieille ! Ce petit Gaston de huit ans, une trompette jouet entre ses mains ! J’ai enfin pu rencontrer ce fameux oncle Adrien, décédé pendant la Première Guerre mondiale. Il avait dix ans et portait une carabine pour chasser le lièvre. Je ne savais pas qu’il y avait un Paradis pour les lièvres. C’était formidable ! Très beau et bien organisé ! Mais il manquait Jeanne. Il était certain qu’avec la vie qu’elle avait menée, ma tante n’avait pu entrer au Paradis… C’est du moins ce que je pensais jusqu’à ce que papa me dise : « Tu sais, Renée, les artistes peintres, ça vit souvent la nuit. Allons la réveiller ! »
Elle était là ! La tante Jeanne de ma petite enfance ! À vingt-cinq ans, les cheveux à la garçonne, une robe courte, de grands colliers de pacotille descendant sur son décolleté, un petit chapeau cloche cachant sa tête, ses grands yeux décorés de faux cils, ses bas en accordéon, trop de rouge sur les lèvres, une cigarette entre ses doigts et un long pinceau dans sa main gauche ! Ma chère Jeanne flapper !
Comme c’est extraordinaire, le Paradis ! Glenn Miller y donne un concert tous les mois ! On peut même danser avec Fred Astaire, mais la demande est très forte. J’ai mon billet pour dans quatre cents ans ! Ce n’est pas grave ! J’ai toute l’éternité, maintenant ! L’éternité avec Jeanne et papa ! Dépêche-toi, Sousou, je t’attends !
Commentaires
C'est plus amusant que trois morts comme finale.
J'adore cette Belle finale ont sens les gens heureux de se revoir pour l'éternité
Cependant un peu hors contexte ici. Il y a 400 pages avant d'en arriver là !
Ta fin est formidable, je dirais même possible... car personne ne sait ce qui se passe de l'autre côté...mois j'aime bien cette narration très mystique et décomplexé de la réalité....