Voici un personnage particulier croisé dans mon roman Les secrets bien gardés.
D'abord, une mise en situation. Nicholas est un homme grand et très costaud, mais pas du tout sociable. Nous sommes au 17e siècle en Nouvelle-France et mon héros préfère vivre en forêt et chez les peuples amérindiens. Loin de l'oeil public, il peut donner cours à son secret bien gardé : tuer.
Voilà qu'un jour il rencontre une jeune fille à peine pubère qui deviendra sa compagne pendant quelques années et qui partage aussi ce goût particulier du Blanc. Son nom est Skecs et l'extrait vous la situera un peu mieux. J'ai cherché à présenter une Indienne qui est... sauvage! De ce fait, Skecs est une Atikamekw, le peuple qui avait alors des relations très distantes avec les Français. Skecs déteste nettement ces gens et ne se prive pas pour démontrer ce sentiment.
Skecs surnomme Nicholas Mestabeok, mot atikamekv qui signifie Montagne. Quant à son propre nom. il y a une anecdote menant à mon choix. Trouver un nom masculin amérindien est très facile. Pas le cas pour des femmes. Or, au moment où j'écrivais ce roman, je participais au Salon d'Histoire et du Patrimoine où, chance, il y avait des Atikamekv venus présenter leur artisanat. Alors, je m'avance vers l'homme présent, un colosse pas du tout souriant, puis j'explique mon besoin. "Peux-tu me dire un beau prénom d'une femme de ton peuple?" Alors le type s'est fendu d'un sourire angélique pour me dire ce que je n'attendais pas : "Skèche." Peut-être étais-ce le prénom de sa maman ou de sa blonde... Il m'a précisé que cela s'écrivait Skecs. Voici l'extrait, mais je ne vous dirai pas de quelle façon Skecs est morte.
Le froissement des feuillages lui fait penser à la présence d’oiseaux, qu’il reconnaît à leur chant. Il les surnomme selon leurs noms iroquois, mais se trouve embarrassé de ne pas connaître leur équivalent en français. Deux jours plus tard, il entend un son qui éveille tout de suite une inquiétude. Cette forêt cacherait-elle une bête dont il ignorerait l’existence? Aux aguets, Nicolas tend l’oreille, puis sursaute quand il se rend compte qu’il s’agit d’une plainte humaine. Il ne prend pas de temps pour trouver la source de ce mystère. Plus Nicolas approche, plus il se rend compte qu’il s’agit du cri d’une petite fille. Il trouve la pauvresse prisonnière entre deux pierres plates, comme si elle cherchait protection. Ses clameurs sont celles d’une personne qui demande de l’aide. En voyant l’énormité du corps de Nicolas, elle hurle davantage et se cache le visage avec ses mains meurtries.
Elle s’évanouit et Nicolas la prend entre ses bras comme un lys fané. Il se sent étourdi, une vive émotion en voyant ses blessures aux jambes et aux bras. Ses petits doigts sans ongles et écrasés lui font qu’elle était prisonnière chez les indigènes et qu’on l’a torturée. Voilà une coutume plutôt rare chez les fillettes indiennes. Habituellement, on les garde pour en prendre le plus grand soin, afin qu’elles s’adaptent à leur nouveau peuple pour qu’elles puissent, plus tard, apporter d’autres enfants à la communauté. Pour être tant blessée il faut qu’elle ait commis un crime très grave.
Vite, Nicolas la transporte jusqu’à son campement où il nettoie son visage avec de l’eau puisée dans le ruisseau. La caresse de ses grosses mains la réveille, la fait sursauter, mais elle semble incapable de s’enfuir. Elle a peut-être une jambe cassée. Elle crie : «Mestabeok! Mestabeok!» Sa peur disparaît rapidement quand il lui tend du poisson séché. Pendant qu’elle dévore, l’homme se presse de lui apporter des fruits de sa réserve et de l’eau fraîche. Reconnaissante, la Sauvagesse dessine un bref sourire teinté de méfiance. Le géant lui parle en iroquois, puis en algonquin. Elle se redresse quand il dit quelques mots d’outaouais, prise d’une grande frayeur. En esquissant un geste de fuite et de défense, elle lui lance des mots rapides. Nicolas croit reconnaître quelques expressions atikamekw. Si elle est de ce peuple, le territoire des siens se situe très loin et nul doute qu’elle a été prisonnière des Outaouais. Peut-être était-elle leur captive depuis quelques années, qu’elle a tenté de s’enfuir et qu’on l’a punie. Peut-être aussi a-t-elle tué un autre enfant, ou un adulte. Tant de questions dans l’esprit de Nicolas! Elle mange encore, sans pouvoir s’arrêter. Le géant approche et tâte son pied droit, provoquant une exclamation de douleur. Par des gestes, il l’assure de ses bonnes intentions. Elle parle plus calmement et Nicolas entend des mots outaouais mêlés à un dialecte curieux. Il lui applique des herbages sur son pied, avant d’entourer ses blessures aux bras de chiffons humides, renforcés par des bâtonnets.
Rassasiée, la fillette s’endort rapidement. Nicolas en profite pour se rendre à la chasse. Un peu de viande fraîche fera le plus grand bien à son invitée. À son retour, la petite est disparue, ayant emporté avec elle sa hache et quelques denrées. Dans son état, elle ne peut être très loin. Nicolas part tout de suite à sa recherche, attentif à tous les sons de la forêt. Soudain, un cri le fait sursauter. Le géant court en direction de la plainte répétée. Il voit un ourson fouiller un bosquet. L’homme fort s’en empare, le tient au-dessus de sa tête comme s’il était un caillou, sous le regard effrayé de la petite fille. Il rabaisse l’animal vers son genou, lui cassant ainsi les reins, puis se jette à son cou pour l’étouffer avec une terrible violence. Il tend la main à l’enfant, en lui disant que cet animal deviendra un excellent repas. Elle a davantage peur suite à cette démonstration. Cet homme blanc, si gigantesque, est-il un esprit? Voudra-t-il la punir pour ses vols? Elle tente de se relever pour s'enfuir , mais tombe encore. Nicolas voit facilement que son pied droit est vraiment cassé. L’homme la prend dans ses bras, lui explique doucement qu’il est son ami et la protégera. Du fond de sa mémoire surgissent quelques mots atikamekw, qui font immédiatement sourire la blessée. Voilà son origine cernée, tout comme son probable passé de prisonnière des Outaouais. Elle le surnomme Mestabeok en dessinant de grands gestes avec ses mains, puis se désigne comme Skecs. Après quelques sourires et un autre repas, elle se repose au coin du feu, souriant aux chansons de Nicolas. Il la couche délicatement au creux d’une paillasse d’herbes, pose sa grosse main sur son front bouillant. Au matin, il l’entend souffrir alors qu’elle se traîne au sol jusqu’au ruisseau pour puiser de l’eau. Il l’observe de loin, certain que, cette fois, elle ne cherchera pas à prendre la fuite. Cette eau est destinée à la marmite, comme si elle voulait cuisiner pour remercier son bienfaiteur.
Ah, je vais vous dire de quelle façon Skecs est morte. Des années plus tard, Nicholas est de plus en plus lourd. En faisant l'amour à Skecs, il l'a écrasée et elle s'est étouffée.