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Titre du blog : Mario Bergeron, romancier du Québec
Auteur : Marioromans
Date de création : 01-01-2016
 
posté le 12-07-2018 à 21:59:59

Femme de métier

 

 

 

Avant les années 1960, le marché du travail pour les femmes était restreint. Ce n'était d'ailleurs pas le but de la société de voir les filles d'Ève exercer un métier. Les exceptions qui le désiraient avaient un champ d'action auquel on ne pense pas, de nos jours : la vie religieuse. Dans les couvents, il y avait des femmes comptables, s'occupant d'administration, de gestion, des musiciennes, des chimistes, des pédagogues, etc.

Il est évident que mon personnage soeur Marie-Aimée-de-Jésus a une foi tiède, d'habitude. Jeune, elle rêvait de devenir enseignante. Cependant, à l'adolescence, elle a réalisé qu'en qualité de laĩque, elle ne récolterait que des miettes et travaillerait dans des conditions minables. Comme enseignante religieuse, tout serait en place pour une plénitude dans son métier.

C'est ce que la jeune femme fera dans son couvent. Au delà d'enseigner, il y aura des réflections sur la pédagogie, des expériences 'sur le terrain' qui enrichiront sa philosophie. De ce fait, soeur Marie deviendra une grande pédagogue, écrivant des livres sur cette science, auteure de manuels scolaires, et, plus âgée, le gouvernement du Québec fera appel à sa science pour les réformes dans le monde de l'éducation.

L'extrait : nous sommes à la fin des années 1930 et voilà notre jeune femme à l'oeuvre dans une nouvelle classe. Le véritable titre du roman est L'amour entre parenthèses, rebaptisé Les bonnes soeurs par la maison d'éditions. Il sera publié en 2013, avec réédition en format poche en 2017.

 

 

La religieuse se tient  devant sa classe avec son plancher ciré, cent fois astiqué par les sœurs converses. Monsieur Léo Vaillancourt, l’homme à tout faire des lieux, a repeint le plafond. La petite bibliothèque se dresse près du tableau noir. Tout au fond, l’immense carte géographique aidera les élèves à comprendre d’où venaient ces lointains ancêtres qui ont fait du Canada un grand pays. La femme affiche un visage de marbre en nommant les élèves une à la fois. Elles ont tant entendu parler de « Sœur Parenthèse », qui est, de prétendre les aînées, très à la mode. Pourtant, elle a l’air aussi sévère que les autres, malgré les jeunes traits doux de son visage. Les élèves maintenant identifiées, sœur Marie-Aimée-de-Jésus garde un lourd silence, et, progressivement, un sourire se dessine sur ses lèvres, provoquant ceux des fillettes, jusqu’à l’éclat de rire de la religieuse. La voilà au cœur d’une volte-face, alors qu’elle frappe le bois de son bureau avec sa grande règle aux extrémités métalliques. « De quoi riez-vous? Répondez! Lucienne Noël, de quoi vous amusez-vous tant? » Les élèves relèvent le sourcil : c’est impossible qu’elle connaisse leurs noms après si peu de temps! Lucienne se lève, bégaie qu’elle ne sait pas.        

« Il faut une raison pour rire.         

- Je l’ignore, ma sœur.         

- Votre ange gardien vous chatouille les pieds?        

- Je ne crois pas, ma sœur.         

- Assise, Lucienne. Irène Bruneau! Levez-vous, mademoiselle Bruneau, et dites-moi pourquoi vous avez ri.        

- Parce que, ma sœur, vous nous avez fait rire.        

- Vous ne l’avez pas cherchée très longtemps, cette réponse, mademoiselle Bruneau. Sur votre siège, s’il vous plaît. Je vais vous le dire, moi, pourquoi vous avez ri. »        

Sœur Marie-Aimée-de-Jésus marche à grands pas, légèrement courbée, tendant ses mains aux doigts raidis, arrondissant les yeux. Soudain, elle s’ancre au sol, et, les bras aux cieux, claironne d’une voix convaincue : « Vous avez ri parce que la vie est belle! »

Que de plaisirs en perspective! Les fillettes ont entendu souvent que toutes les élèves de la Sœur Parenthèse deviennent des premières de classe, fiertés de leurs parents et promesses de récompenses en juin prochain.

À la récréation, une consœur se presse de rejoindre la jeune religieuse et de lui demander :         

« Ça a encore bien fonctionné, votre truc, ma sœur?        

- Certes.        

- Je n’oserais pas le faire… Il n’y a que vous pour y arriver.        

- Il s’agit d’adapter des stratégies de mise en confiance selon les élèves. Vous savez, Dieu me guide encore pour toujours renouveler mes pensées et mes réflexions sur la pédagogie. Soyez cependant aimable de ne pas appeler mes initiatives des trucs. »