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Titre du blog : Mario Bergeron, romancier du Québec
Auteur : Marioromans
Date de création : 01-01-2016
 
posté le 18-07-2018 à 22:10:26

Extrait : Les Freaks

 

 

Un de mes coups de gueule contre la bêtise hypocrite de la rectitude politique. Les Freaks met en vedette un dramaturge amateur qui rencontre un nain danseur et chanteur. Les deux partagent une passion : les spectacles forains sous tente du 19e siècle. Les deux hommes ont de larges connaissances sur ce sujet. Ils décident d'écrire une pièce de théâtre se déroulant dans ce milieu, en faisant appel à des gens ayant un handicap, une charmeuse de serpents, une femme obèse, deux Noirs déguisés en chasseurs de têtes. etc.

Ce qui devait être un spectacle amateur présenté cinq ou six fois fait soudainement la manchette, à cause de l'emploi d'handicapés, mais aussi du langage d'époque, reflets de l'exactitude désirée par le dramaturge.

La troupe, très unie en amitié, fait fi des interdictions et des dénonciations, tout en vivant dans leur réalité le drame raconté dans la pièce.

La photo ci-haut est extraite du film Freaks, de Tod Browning, une inspiration pour mon récit, tout comme mes connaissances du monde forain dont je m'étais servi pour ma thèse doctorale en histoire. L'extrait : la première rencontre entre Ti-Pierre le nain et Sylvain le dramaturge.

 

 

Le café promis s’est multiplié par huit, avec un paquet et demi de cigarettes. Nous avons même oublié de manger. Ti-Pierre m’entretenait avec une rare passion de l’histoire des spectacles forains d’autrefois, les connaissant avec le même intérêt qui m’avait animé quand ce sujet était devenu celui de ma thèse de doctorat en histoire. L’homme, dans la seconde moitié de la quarantaine, manifestait aussi les mêmes convictions que les miennes sur la liberté, sur la force de la création.

 

Il habite une petite roulotte décorée de placards similaires à ceux qui ornaient la devanture des tentes du dix-neuvième siècle. Il y a des dessins magnifiques, plus grands que nature, le représentant avec ses balles, son chapeau et sa canne, sans oublier la mention, en lettres rouges, que « It’s Alive! » À l’intérieur du véhicule, tout était à sa mesure : le lit, les chaises, la table, le lavabo, si bien que je n’ai pu caser ma taille et que j’ai passé tout ce temps assis sur le plancher. Sur les murs : des photos de freaks et une peinture de son idole Tom Pouce. Pierre m’a dit posséder des programmes d’époque, des carte-postales et quelques affiches, entreposées chez sa sœur, à Montréal.

 

 

« Au dix-neuvième siècle, je me serais produit sous les tentes, dans des musées, pour des cirques et à force de m’améliorer, j’aurais gravi les échelons de la hiérarchie. J’aurais amusé des milliers de gens et gagné honorablement ma croûte. Aujourd’hui, je ne suis qu’une statistique dans l’ordinateur d’Emploi-Québec et je dois vivre dans la crainte de ne pas croiser un de leurs fonctionnaires quand je me produis dans les rues. Ces gens-là, Sylvain, s’assurent à tous les deux mois que je n’ai pas grandi, que je suis toujours un de leurs foutus handicapés. T’as vu les gens, cet après-midi? Ils souriaient. S’il avaient laissé parler leur cœur, ils auraient ri du nain, au lieu de penser que je fais pitié. »

 

 

 

Ti-Pierre s’est aussi intéressé à mon parcours chaotique : études interminables pour toucher les chèques de prêts et bourses et m’éviter un emploi minable, cinq romans publiés et, il va de soi, pilonnés trois années après leur sortie. Des tâches d’éclairagiste et de sonorisateur de gauche à droite, puis ma troupe de théâtre amateur, qui n’a joué que sept de mes pièces en vingt années devant un public de plus en plus parsemé et maintenant formé des parents et proches des comédiens. Merveilleux! Il vaut mieux rouler du mauvais côté de la route et que demeurer immobile à droite.

 

 

Commentaires

Marioromans le 20-07-2018 à 18:21:57
Je ne me souvenais plus de cette phrase. Genre de phrase qui, en la voyant, me fait dire : C'est moi qui ai écrit ça?


Prends bien soin de toi, ô public complet.
Maritxan le 20-07-2018 à 13:11:50
J'aime bien la dernière phrase du texte, elle est digne d'un philosophe ! Sourire1

Désolée pour le silence. En ce moment je n'ai pas la frite, j'ai de l'asthme, jamais eu ce truc avant. C'est déstabilisant !