Un extrait de Louis Roy : Mon espoir, ma vie, ma carrière. Louis chante merveilleusement, joue du piano de superbe façon, sera un brillant animateur à la télé et à la radio et, cela va de soi, touchera au cinéma, d'abord localement, puis à Hollywood, avec des vedettes établies, cela à cause d'un contact de prestige, celui de Frank Sinistre, qui avait repris en anglais sa chanson Mon espoir. L'extrait se déroule en 1961.
Descendre dans l’État du soleil et être attendu par une limousine avec valet et chauffeur est particulier, d’autant plus qu’à l’intérieur, il y a Frank Sinistre, qui me tend la main et un verre de whiskey, en me chantant Mon espoir dans sa langue.
« Content de te rencontrer, Frenchie. Ta chanson a été un million seller partout dans le monde. » Pendant ce séjour, je couche dans sa villa. Je n’ai jamais vu un tel château! Je lui fais cadeau de mes microsillons. Il s’empresse d’écouter. « Celle-là, je vais l’enregistrer. Écris-moi des paroles en anglais. Sur l’amour, hein! Toujours l’amour! »
L’homme m’explique que le film sera un navet, « mais avec trois têtes d’affiches, le public n’y voit que du feu. C’est le système Hollywood, Frenchie. » Le film, d’action, réalisé par Robert Baun, s’intitulera Saving America. Trois agents secrets tentent de coincer des espions soviétiques qui ont envahi le monde des courses, des casinos et du cinéma, afin d’attirer les révoltés vers le communisme. Trois histoires semblables, mises en parallèle. En plus de Beurk Lancaster, il y aura Cric Douglas. Les vilains : Ulf Gustaffsen, Pancho Rodriguez et moi-même.
Suite à mon arrivée, Frank m’accorde une soirée de repos, afin de m’installer confortablement dans une chambre princière. Le cuisinier me demande ce que je désire manger le lendemain matin. La vedette m’offre encore de l’alcool, désireux de connaître les péripéties de ma carrière et, bien sûr, il m’avoue adorer le Canada.
Le matin venu, nous rencontrons le producteur qui, à ma grande surprise, connaît tout de moi. Il a même vu certains des documentaires du BOF. Il faut croire que Hollywood a des espions partout. « Frank a confiance en vous, monsieur Roy. » Pourquoi donc? Le chanteur ne m’a jamais vu à l’œuvre, mais j’imagine que s’il a dit à cet homme que je jouerais dans le film, il valait mieux obéir à la vedette.
Logique de cette pensée : le réalisateur Baun ne semble pas ravi de me serrer la main. Je l’assure immédiatement que je suis prêt, que j’ai bien cerné mon rôle et répété mon texte, avec l’aide des Cupidons et de Jocelyne. Les comédiens du téléroman m’ont donné des conseils judicieux, entre autres pour avoir l’air fourbe, sans devenir caricatural.
Ensuite, nous nous rendons au studio pour regarder les décors, le matériel. Je dois avouer que c’est beaucoup plus vaste qu’un studio de télé, que les caméras me paraissent davantage modernes. Magnifique travail! Ils ont recréé une salle de jeu de casino dans les moindres détails. Ce sera mon domaine. Ceux pour le cinéma et l’hippodrome attendent dans un autre lieu. Tout sera tourné en pièces détachées, à cause de la disponibilité des comédiens. Frank me précise que Beurk Lancaster tourne deux films à la fois. Le chanteur semble amusé de voir mes réactions. « Bigger than Canada, hey Frenchie? It’s America! » Le tournage s’échelonnera pendant presque deux mois, mais ma participation sera terminée dans une douzaine jours.
Frank m’enseigne comment recevoir un faux coup de poing sur la gueule. « C’est une spécialité américaine. Même dans les films romantiques, il y en a un ou deux. » Je lui avoue que cette technique ne fait pas partie de mon curriculum vitae de comédien. « Tout ira très bien. Tu peux me faire ta tête de truand? Fantastique! T’as vraiment l’air d’un espion communiste! »
Tout fut terminé à temps. Expérience enrichissante! Je me suis frotté à des professionnels, de l’éclairagiste jusqu’aux maquilleuses. J’ai agi comme à la télé : obéir sans poser de questions. Le réalisateur Baun a apprécié. « Garçon, tu as de l’avenir au cinéma. Laisse-moi tes coordonnées. Je parlerai de toi à mes amis et on te fera sûrement signe sous peu. Tout le monde aura retenu ton visage, quand le film sera sur le marché. »
Commentaires
Ce roman est plein de passages moqueurs.
Entre autres élément particulier : tous les musiciens que Louis engagera au cours de ses 50 années de carrière se prénomment Pierre,Jean, Jacques.
Quelle aventure dans ce monde "à part " ! ...