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Titre du blog : Mario Bergeron, romancier du Québec
Auteur : Marioromans
Date de création : 01-01-2016
 
posté le 12-09-2018 à 04:41:43

Lecture mélodramatique

 

 

Un extrait de Une journée, une rue, cent personnages, le roman qui m'a donné le plus de satisfaction dans ma vie. Nous sommes en 1949 avec une jeune adolescente qui prend à coeur la lecture de romans sentimentaux à deux sous. L'extrait est le chapitre complet, puisque les dits chapitres ont tous trois pages.


 



Craintive, elle approche de sa berçante et, nerveuse, met la main sur son roman, dont elle reprend la lecture immédiatement. « Je suis étranglée d’émotions en le revoyant lui jurer un amour éternel, la main sur le cœur, agenouillé devant elle. Il avait l’air si sincère et, trente pages plus loin, il la trompe avec la première roturière venue! Une fille de rien! Que va devenir l’héroïne? Je dois le savoir, avant de me coucher. »

 

La jeune femme lit les cinq paragraphes suivants en diagonale afin de connaître le destin de la pauvresse. « Ah non! Pas entrer au couvent à cause de l’infidélité de ce malfrat! Ne fais pas ça! Tu n’as pas la vocation et une femme de cœur comme toi a tant d’amour à donner! Tu souffriras davantage en devenant une religieuse! Ne le fais pas! Ne… D’ailleurs, elle ne le fera pas, car il reste soixante-dix pages… Mais c’est si triste! Ça y’est! Je pleure! Vite, mes mouchoirs! » +

 

La chambre de cette ouvrière du textile est remplie de romans à cinq sous, souvent glanés dans les tourniquets que l’on croise à la gare. Elle en consomme de façon effrénée depuis trois années. Passion d’amour, Tendre amour, La marquise et l’amour, Mademoiselle Amour, Amour sans fin et tant d’autres avec des titres semblables, sans oublier son chef d’œuvre : Tennis d’amour, où une spectatrice tombe en pâmoison devant un champion de la raquette, mais qui se révèle, à la page trente-sept, être un infâme bigame qui bat ses enfants. L’adolescente l’a lu six fois et pleuré pendant trois semaines.

À l’usine, le contremaître lui adresse la parole en disant Mademoiselle, ses camarades la nomment par son prénom, mais à la maison, son père et ses trois frères l’appellent Mouchoir. Sa mère n’oserait les imiter car, après tout, elle a aussi lu ces romans, sans pourtant déverser des torrents. « C’est un scandale! Consacrer trois pages à ce malfaisant et à sa dévergondée, pendant que mon amie pleure, a perdu l’appétit et le sommeil, puis pense encore au couvent. Je devrais me plaindre à la maison d’éditions et… À Paris, évidemment… Qui a écrit ce torchon? Lui? Encore lui? J’aurais dû me méfier! Sous prétexte de glorifier l’amour, ce gars-là méprise les femmes! Je me rappelle ce qu’il avait fait subir à la belle et courageuse héroïne de Malaise d’amour. Non! Trop, c’est trop! Je ne lirai plus jamais rien de cet auteur! »

 

 

Livre illico jeté à la corbeille, se noyant sous les mouchoirs de larmes. L’adolescente se redresse, renifle un peu, marche vers la fenêtre pour prendre une bouffée d’air. Il pleut de plus en plus. Elle regarde les piétons marchant rapidement, n’ayant pas pensé à se munir d’un parapluie. Elle note un jeune homme très mal vêtu, qui, au contraire, semble prendre son temps. Elle a un haut de cœur en le voyant. On dirait un vagabond. Il vaut mieux fermer la fenêtre avant qu’il ne la remarque. Elle décide d’enfiler sa robe de chambre et de se préparer pour la nuit quand, soudain… La corbeille… Le livre… Elle doit absolument connaître le destin de l’héroïne, mais jure de ne pas lire les passages mettant en vedette le bourreau des cœurs. Elle va voir vingt-cinq pages plus loin. « Un bal au château! Le comte a dû l’organiser pour plaire à sa fille et… voyons trois paragraphes plus loin… Voilà ce que je pensais : elle n’est pas intéressée. C’est pourtant si beau, toutes ces toilettes distinguées, puis l’orchestre qui va jouer une valse. Une page plus loin, peut-être… Un jeune capitaine de l’armée de Sa Majesté l’invite à danser et… Horreur! Il a perdu un bras à la guerre! Ça fait pitié! Pauvre lui! Je lis… Non! Pauvre lui! Mes mouchoirs, vite… »

 

 

Trois additionnels pour la séquence décrite quinze pages plus loin : la demande en mariage. L’héroïne semble mieux se porter, folle d’amour pour ce capitaine élégant et sensible. Cependant, l’adolescente découvre vite que le mécréant qui avait joué avec les sentiments de l’héroïne n’est pas disparu. « Écœurant! Trop tard, maintenant! Tu l’as perdue! C’était à toi de te montrer fidèle quand elle t’aimait! T’as du culot de te présenter au château! »

La curiosité étant ce qu’elle est… « Quoi? Provoquer le beau capitaine en duel? S’en prendre à un infirme? Bandit! Mais tu vas voir que même avec un seul bras, le grand cœur sait toujours viser. Oh! il faut que je vois ça! »Le capitaine est atteint à son bras valide et s’écroule! Voilà que l’héroïne sort son pistolet et abat l’ennemi. « Bravo! Elle a protégé son amoureux et s’est vengée de l’affront subi. J’aurais fait la même chose! Elle se précipite vers le blessé, l’embrasse. Comme c’est beau! Si beau! Le mariage! Je dois lire le passage du mariage. À la fin, assurément. »

La jeune fille tourne nerveusement les pages, échappe le livre, renifle encore en pensant à la somptueuse cérémonie, quand… « Quoi? L’échafaud? Pas pour elle, tout de même! Hein? Elle monte vers… la guillotine! Non! AAAAAAA! »

 

Hurlements! Niagara de larmes! L’adolescente, étourdie, se sent étouffée, se précipite pour ouvrir la fenêtre, crie davantage en voyant la jeune mal vêtu s’abriter sous sa fenêtre. Les parents, à bout de patience, ordonnent à la pauvre de cesser ces larmes et ces cris, de fermer la lumière et de se coucher. « Personne ne comprend quoi que ce soit à l’amour! Personne! La guillotine! Mes mouchoirs, vite! »

 

 

Commentaires

Marioromans le 17-09-2018 à 19:05:56
Il s'agit plutöt de la fin des chapitres, et non du roman,


Oui, des livres d'Histoire, j'en ai croisé des mauvais et des moyens.,
chocoreve le 17-09-2018 à 15:42:39
Est-ce que tu as le même esprit critique pour un livre d'histoire, que pour un roman ?


Présenter un personnage en fin de roman, qui se trouvera dans le roman suivant, je trouve ça génial ! ... d'autant plus qu'il n'attire pas plus que ça l'attention du lecteur.
Marioromans le 12-09-2018 à 23:20:43
Quelqu'un qui lit très peu ? Moi ? Attention, je lis peu de romans, mais beaucoup de livres d'Histoire. D'ailleurs, je les dévore comme... des romans !


Les 100 histoires de 3 pages, pour les 100 personnages, présentent la forme classique de l'intro, le noeud, la conclusion et, vers la fin, je présente le personnage suivant. Ici : le jeune mal vêtu qui ressemble à un vagabond.
chocoreve le 12-09-2018 à 23:16:10
C est tout à fait ça, la lecture en diagonale pour aller plus en avant, et l idée que l on se fait d une suite à donner ! Le livre à la poubelle, ressorti ...

Pour quelqu'un qui lit très peu ? Bravo la description est parfaite !