VEF Blog

Titre du blog : Mario Bergeron, romancier du Québec
Auteur : Marioromans
Date de création : 01-01-2016
 
posté le 19-09-2018 à 05:17:19

L'Expo et l'amour

 

 

Momo et l'Expo raconte l'histoire d'un adolescent de 13 ans, ayant gardé des habitudes de son enfance. Un jour, il rencontre une fille de son âge, Marie-Claire, davantage cultivée et mature. L'adolescente attend avec fascination l'ouverture de l'Expo Terre des Hommes, tenue à Montréal en 1967. Elle fait entrer dans ce jeu le garçon, Momo, qui a un coup de foudre pour l'événement. Tout au long de l'été, Momo fait tout pour se rendre à l'Expo le plus souvent possible, à la manière de Marie-Claire. Terre des Hommes change la façon de penser de Momo, réalisant que le monde est plus riche et varié que les sports.

L'extrait : L'Expo doit fermer! Nous sommes au début d'octobre, alors que Momo et Marie-Claire décident de faire leurs adieux à Terre des Hommes, séchant leurs cours pour se rendre seuls à Montréal. Le plan fonctionne bien, sauf pour une température épouvantable et... Vous verrez !

 

 

 

L’Expo à nous seuls! En fait, il est possible que nous y soyons seuls… Pourquoi fallait-il que ce malheur humide vienne gâcher ce grand jour? Il ne manque que la grêle, mais j’aime mieux ne pas y penser, au risque de provoquer le destin.         

Notre liste de visites était trop longue. Nous l’avons réduite, lors d’une discussion dans l’autobus. En prenant une grande respiration, nous abordons le pont de la Concorde vers l’île Notre-Dame, et, au milieu, le vent pousse la casquette de Marie-Claire, tombant dans le fleuve. Je la coiffe de la mienne et presse le pas vers la terre ferme. Nous tournons vite pour rejoindre la Place d’Afrique. Une douzième fois, peut-être? Qu’importe, là-dedans, il y aura du soleil, mais nous avons surtout l’impression de réveiller les hôtesses, sans doute frigorifiées et rêvant déjà du retour dans leurs pays, où octobre est plus torride que notre juillet. L’effet ne dure pas longtemps : nous sommes des visiteurs et les sourires généreux sont de mise.         


Nous prenons le temps d’échanger avec une gentille hôtesse, pour lui dire jusqu’à quel point nous avons appris à connaître et à aimer l’Afrique grâce à ce riche ensemble de petits pavillons. Marie-Claire parle de sa correspondante. Je jure qu’un jour, je retrouverai la gentillesse africaine sur le continent même. La chaleur de mon cœur ne dure pas longtemps, car en sortant, c’est abominablement pire…        

En avant les braves et vite vers la Tchécoslovaquie! Nous devons revoir ces films projetés partout, ces personnages qui semblent apparaître dans tous les coins, comme si nous vivions au cœur d’une féerie. Cependant, nous sommes encore bloqués par le déluge. Nous demandons la permission de manger nos sandwiches dans le hall d’entrée. Entre deux bouchées, je mentionne notre prochaine destination : le Mexique. Marie-Claire sait comme c’est important pour moi, mais je sens dans son silence une réponse que je ne voudrais pas entendre : « C’est de l’autre côté de l’île. Nous allons congeler avant d’y arriver. »        

Elle ne dit rien, mais sa pensée a eu raison : nous sommes mille fois trempés en entrant sous la chaleur mexicaine. Tout près, il y a le Kaléidoscope, qui n’est pas sur notre liste, mais nous pourrons nous sécher un peu en regardant les lumières danser avec les miroirs. J’essaie d’encourager mon amie : « On s’en souviendra longtemps, de la pluie d’octobre lors de notre dernière visite. En fait, ce sera un beau souvenir. » Une réponse de nouveau sans mot : elle me tire la langue. Triste, je regarde le film.        

Notre prochaine destination est sur l’île Sainte-Hélène. Il pleut toujours, mais le vent a cessé son jeu cruel. Nous n’atteignons pas l’île, car Marie-Claire, sans me le demander, bifurque vers le pavillon de la Thaïlande, tout près, qui devait être le dernier à être visité. Puis, très soudainement, ce qui manquait au palmarès de la journée : le tonnerre et les éclairs. Marie-Claude crie. Moi aussi. Je mets les deux pieds dans une imposante marre et lance le premier gros mot de toute ma vie. Elle rit. Pas moi.        

L’hôtesse sursaute en nous voyant. Depuis tous ces mois, elle a dû voir des tas de gens différents et bizarres, mais nous sommes sans doute les premiers canards à pousser sa porte. Elle lève le petit doigt, nous demandant d’attendre. Elle revient trois minutes plus tard avec une boîte de papiers mouchoirs, tendus à Marie-Claire. Nous regardons tout précieusement, sachant qu’elle et moi avons eu le coup de foudre pour Terre des Hommes en ce lieu. Je me sens alors troublé de penser que tout ceci va disparaître.        

Nous remercions l’hôtesse pour son amabilité et traçons un plan pour nous rendre au pavillon des Indiens du Canada. Marie-Claire n’a pas dessiné dix pas qu’elle se met à pleurer très fort, en criant : « Je ne peux pas croire que c’est terminé! C’est impossible! » Alors, je me lance contre elle pour l’approuver, pleurer tout autant. Puis je vois ses yeux tristes et si touchants, je pense à tout ce que nous avons partagé depuis ce printemps, et j’ai le réflexe d’avancer mes lèvres vers les siennes. Soleil… Plein soleil… Chaleur bienheureuse. Je la tiens par la taille et nous marchons très lentement, seuls au Paradis terrestre.        

Nous abrégeons notre visite, décidés à nous réchauffer au terminus d’autobus. Pendant qu’elle est descendue à la salle de toilettes, je file à la tabagie avec l’espoir idiot de trouver une carte de Saint-Valentin qui n’aurait pas été vendue, en février dernier. Dans le véhicule, nous n’avons pas parlé de l’Expo. Nos mains sont demeurées soudées. Parfois, je passais un doigt dans ses cheveux. Marie-Claire se blottit contre moi et je suis devenu un… Non : pas un homme. Un adolescent. Plus de jeux dans les rues, plus de gamineries. L’Expo à jamais dans nos cœurs. Maintenant, tout sera beau pour toujours, au cœur de la liberté de la prochaine décennie.