Un extrait de Les secrets bien gardés. Nous sommes autour de l'année 1630 en Nouvelle-France et Marie-Anne, dite La Voleuse, va accoucher de son premier enfant. Pas facile! Aussi : un acte avec des habitudes aujourd'hui disparues et qui pourraient donner le frisson à plus d'une.
J'ai une bonne raison de me souvenir de l'instant où j'avais écrit ce passage. J'étais au salon du livre de Jonquière, filant vers ma pause et commandant un café au petit casse-croûte du centre commercial adjacent. Je sors mon stylo, commence à écrire quand, soudain : plus d'encre! Je regarde dans mon sac à dos : pas de deuxième stylo! Soudain, je vois un confrère attablé plus loin, lui demande : "Peux-tu me prêter un stylo? Je suis en train d'écrire un accouchement et ça ne peut pas attendre!" L'homme aimable me délivre et je peux continuer à écrire. À la fin, je retourne vers sa table, lui remet le stylo et fait : "Au nom de la mère et de l'enfant, je te remercie."
Quand Marie-Anne sent le moment venu, elle intercepte un garçon dans la rue pour lui demander de courir chercher la sage-femme et, sur le chemin du retour, qu’il arrête avertir Jeanne. En attendant, elle prend de grandes respirations, marche à petits pas, grimace, s’appuie sur la chaise d’accouchement en la regardant avec effroi. La douleur se fait plus intense et la voleuse va s’allonger sur le lit, se relève aussitôt qu’elle entend la porte ouvrir. C’est la voisine, mère du garçon, qui vient l’aider.
La sage-femme suit quelques minutes plus tard. Elle se presse de fermer tous les volets, d’allumer le feu, alors que la voisine place des chandelles aux quatre coins de la maison. Le lit est approché de l’âtre et la femme ensevelit Marie-Anne sous des couvertures. Jeanne arrive avec des chiffons imbibés d’eau bouillante qu’elle dépose sur le ventre de la future mère, qui réagit en lançant un «Nom de Dieu!» peu de circonstances. Jeanne pousse sur le ventre, pendant que la sage-femme introduit ses doigts imbibés de beurre dans l’intimité de Marie-Anne.
Une heure plus tard, la pauvre crie encore, alors que les sueurs perlent sur son visage rougi. Parfois, les femmes la font lever et sautiller sur place, ce qui provoque chez elle des exclamations horribles. «Criez! Criez, Marie-Anne! Vos souffrances plaisent à Dieu! S’il ne vous voit point souffrir, il vous enlèvera la vie et celle du nourrisson! Ne vous contrôlez pas et criez!» Parfois, la sage-femme la fait asseoir sur un chaudron chauffé, avant qu’elle ne prenne place sur le banc d’accouchement. Marie-Anne gémit, maudit Samuel, insulte la sage-femme. Jeanne et la voisine crient tout autant, dans une exaltation rituelle qui stimule la future mère. Jeanne pousse encore le ventre, alors que la sage-femme lui dilate les parois avec violence. Marie-Anne se mord les lèvres jusqu’au sang dans un râlement atroce, suivi des cris du nouveau-né qu’elle n’entend pas.
L’enfant est emmitouflé dans le tablier de la sage-femme. Jeanne la regarde tâter vigoureusement le nourrisson, afin de le façonner, de s’assurer que tous ses membres sont normaux. Après avoir coupé le cordon qui a retenu si longtemps à sa mère, la femme place le petit être près de la cheminée.
La voisine et Jeanne transportent Marie-Anne sur le lit pour la laver. Elle reprend conscience quelques minutes plus tard, hors de souffle, exténuée, sentant encore les atroces douleurs dont elle est pourtant délivrée. La voleuse jure que plus jamais elle ne souffrira autant. Jeanne sourit. Toutes les femmes disent ça. Vite, on lui apporte son nourrisson, dont la vue l’effraie quelques secondes, avant qu’elle ne le pose avec affection contre son visage. «C’est une fille, bien chère voleuse! »
Commentaires
C'est une double croyance de la société catholique de la Renaissance :
1)_ Il faut souffrir sur Terre pour mériter le bonheur éternel du Paradis.
2)- La femme est porteuse du péché d'Eve et est donc née pour souffrir.
Dieu serait-il sadique au point de vouloir que la future mère souffre plus qu'elle ne doit ?