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Titre du blog : Mario Bergeron, romancier du Québec
Auteur : Marioromans
Date de création : 01-01-2016
 
posté le 05-11-2018 à 06:27:40

Bilan : Contes d'asphalte

 

 

 

Des six romans d'origine de la série Tremblay, celui-ci est mon préféré. D'ailleurs. lors de mes présences aux salons du livre, j'insistais auprès de livre, faisant dire à la responsable du kiosque : "Ça paraît que tu l'aimes, celui-là." Réalité davanage complexe et voici le secret. Lors de la préparation, l'éditeur a de nouveau voulu changer le titre. Cette fois. j'ai répondu promptement NON, suivi d'une quasi  engueulade au téléphone, se terminant par : "D'accord, mais tu vas l'assumer, ton titre imbécile!" Ceci m'avait très peiné. car pour assumer ces romans, j'avais participé, à mes frais, à une presque trentaine de salons du livre. Une façon de lui prouver qu'il avait eu tort était d'en vendre plus que les autres. Sa façon d'avoir le dernier mot consistera à faire peu de promotion pour les deux livres suivants, puis de me larguer.

Contes d'asphalte est d'abord une histoire d'amour, puis une histoire d'enfance. Un point commun : la présence d'un véritable personnage : le curé Chamberland, religieux pragmatique qui avait organisé une coopérative d'habitations ouvrières, transformant un quartier de taudis en un lieu sain, de fierté et d'entraide. On peut voir ces maisons, sur la page couverture.  Mon salaire a été reçu lors des salons du livre de Trois-Rivières, alors que beaucoup de gens, ayant connu le prêtre, m'ont dit : "Il était vraiment comme vous le décrivez."

 

 

Du point de vue stylistique, la partie Carole suit la norme romanesque. La seconde partie, concentrée sur son fils Martin présente une approche différente : douze chapitres thématiques, pour chaque mois de l'année. De plus, il n'y a pas de chronologie, si bien que lors d'un chapitre, la petit Martin a 7 ans et 10 dans le suivant, pour revenir à 8, etc. Tous les chapitres débutent par une histoire sortie de l'imagination du garçon et se terminent par un conte narré par son grand-père Roméo. Je ne m'en cache pas : Martin ressemble beaucoup au petit Mario que j'étais.

 

 

C'est un roman touchant, amusant, positif et je l'aimerai toujours, vraiment à jamais.

 

 

 

 

La version Québec Loisirs. Ces gens changaient la page couverture, mais ne touchaient pas au contenu. Cinq des six romans de la série Tremblay seront publiés par ces gens. Le fait d'avoir recours à des commandes postales permettait à des personnes de régions éloignées de pouvoir acheter mes livres. C'était aussi le cas pour les francophones des provinces anglophones du Canada. Bref, les livres se vendaient davantage que par la voie de l'éditeur, mais QL sabrait beaucoup dans le droit d'auteur.

 

 

 

 

 

L'extrait. Carole est une jeune enseignante, avec un handicap aux jambes. Dans le quartier Sainte-Marguerite, elle rencontre l'ouvrier Romuald, un véritable... homme à marier. L'amour fou que lui porte Carole a ses débordements rares, pour la fin des années 1940. Baptisons cet extrait : le désir.

 

 

Ce samedi soir, Carole constate qu’elle se trouve seule à la maison, son frère Christian étant parti chez son amie de cœur et maman Tremblay ayant décidé de veiller puis de coucher chez sa sœur, au Cap-de-la-Madeleine. Carole ne se souvient pas de la dernière fois où une telle situation s’est produite. « C’est maintenant ou jamais ! Il le faut ! Il le faut ! Je ne peux plus tenir ! » se dit-elle, crispant les poings et pensant à Romuald. Et dire que la veille, la jeune Tremblay a refusé son invitation à sortir sous prétexte qu’elle a du travail ! Carole rage en pensant qu’il n’a pas le téléphone. Elle s’habille chaudement pour affronter le verglas d’hiver. Les trottoirs sont glissants et elle doit se tenir contre un poteau de téléphone en attendant l’autobus, qui arrive avec douze minutes de retard. Dans le véhicule, elle enlève son foulard trempé en se demandant pourquoi le conducteur ne va pas plus rapidement. Lorsqu’elle descend près de l’école, Carole prend son courage à deux mains avant d’affronter la chaussée dangereuse de la rue Sainte-Marguerite. Elle pense à ces deux milles à marcher avant d’arriver chez Romuald. Après être venue près de trébucher à trois reprises, elle abandonne le trottoir au profit de la rue. Vingt pieds plus loin, elle tombe à la renverse, se fait mal aux coudes, puis se relève, rattrape sa canne et continue avec plus de vigueur. Carole essaie de marcher avec fermeté, mais glisse à quatre autres occasions. Enfin, elle atteint son but ! Elle cogne vivement à la porte. Pierrette lui répond.

 

 

 « Mon frère ? Il est parti jouer aux quilles avec des gars de son usine.

- Où ? Je dois savoir où !

- Je ne sais pas. Mais entre donc, tu es trempée. Je suis seule avec Lucienne et c’est ennuyeux ici, sans radio. On va parler.

- Je ne peux pas rester. Tu connais ses amis ? Tu as leurs numéros de téléphone ?

- Qu’est-ce qui se passe de si urgent ? Pas de la mortalité dans ta famille, j’espère ! »

 

 

 

Carole ne récolte rien de Pierrette et retourne tout de suite dans la rue Sainte-Marguerite, transformée en véritable patinoire. Voilà le vent qui se mêle à son périple casse-cou, poussant la pluie glacée dans son visage rougi par la froidure, mais n’atteignant pas son corps encore si chaud de désir. Et l’autobus qui tarde à venir ! Soudain, une automobile approche. Carole reconnaît celle du curé Chamberland.

 

 

 

 « Où allez-vous, mademoiselle Tremblay ?

- Au centre-ville, monsieur le curé.

- Montez. »

 

 

 

Carole ne refuse pas. Le prêtre est accroché à son volant, le nez avancé pour mieux voir à travers son pare-brise. Au premier feu rouge, il a un geste d’impatience qui étonne Carole. « Je déteste la pluie en hiver ! Ce n’est pas logique ! En été, il pleut ! En hiver, il neige ! Pas la pluie en hiver ! Est-ce qu’il y a de la neige, en été ? C’est illogique ! » Une fois le feu vert venu, le curé pèse promptement sur sa pédale et les roues de l’automobile glissent sur place, avant de mordre un bout d’asphalte en un hoquet criard.

 

 

 

 « Vous arrivez de chez le jeune Comeau ?

- Oui.

- Êtes-vous en amour avec lui ?

- Ceci, monsieur le curé, m’est personnel.

- Ne montez pas sur vos grands chevaux ! Je ne fais que poser une simple question.

- Un curé doit tout savoir, n’est-ce pas ?

- Tout savoir ce qui est bon pour la paix de sa paroisse. Romuald Comeau est un garçon de cœur. Qu’il fréquente la jeune maîtresse d’école me réjouirait. J’espère qu’il va vous aider.

- M’aider ? À quoi ?

- À trouver la paix.

- Monsieur le curé, auriez-vous la gentillesse de me reconduire jusqu’à la rue des Forges et ne pas essayer de me psychanalyser ?

 

(...)

 

 

Carole sort de l’auto les larmes aux yeux. La pluie tombe de plus belle et la jeune femme l’accompagne de son propre torrent, marchant avec peine afin de visiter chaque salle de quilles de la ville. Rien ! Rien ! Et rien ! Il est presque dix heures et son frère Christian est sans doute sur le point de revenir à la maison. Carole dépose les armes et saute dans un taxi pour regagner son foyer. Elle se sèche, pleure encore, lance sa canne contre un mur, prend une grande gorgée de jus de pomme et fait couler un bain. L’eau chaude sur son corps la calme un peu. Elle s’installe au salon avec un livre, se demandant pourquoi Christian a un si long retard. Il revient à minuit. Carole vient de perdre deux heures qu’elle aurait pu passer avec Romuald, pour qu’il apaise son envie.

 

 

Commentaires

chocoreve le 16-11-2018 à 22:52:24
Bien sur ! je comprends mieux ...

ce titre résume parfaitement bien le contenu du roman,

Merci
Marioromans le 12-11-2018 à 00:27:45
Simple à expliquer. Il y a certes un aspect conte dans l'histoire d'amour entre Carole et Romuald. Ajouton que la coopérative d'habitation ouvrière a aussi un côté conte de fée, alors que des ouvriers sous-payés devenaient propriétaires de maisons, bâties bénévolement par des hommes parfois inconnus du futur propriétaire. De plus, les fables racontées par Roméo au petit Martin sont aussi des contes.

L'asphalte ? Ce quartier a vécu des années sous les coups de marteaux et le bruit des scies. On ne peut imaginer roman plus urbain.

L'éditeur croyait que le mot asphalte était inconnu des gens de France. Pourtant, il n'y avait aucun effort de sa part pour faire connaitre ces romans en France. De plus, deux ou trois années plus tard, une romancière française a fait paraître un livre du même titre, mais au singulier.
chocoreve le 11-11-2018 à 15:59:12
Pourquoi ce titre ?

asphalte étant synonyme de bitume ... cela voudrait-il dire "histoires de rue" ... ou du "chemin d'une vie" ...