Après la mésaventure avec VLB, il y a eu une impasse dans mes recherches. En 2012, je me rends au salon du livre de Trois-Rivières, mais comme visiteur. Je ne croyais pas que cela m'attristerait autant. Ne plus être derrière un stand! J'y croise la romancière Pauline Gill, à qui je raconte tout. La femme se montre bonne à mon endroit, me donne quelques conseils, dont celui de ne plus envoyer de manuscrits, mais des courts résumés de mes romans disponibles, avec une description des caractéristiques. Sur un bout de papier, elle écrit : "Éditeurs réunis." Je ne savais pas qui étaient ces gens. "Ils sont très ouverts", de préciser Pauline. Dans les deux cas, cela a fonctionné...
... Sauf que ces gens ne seraient pas du tout ouverts. J'en ai vu de toutes les couleurs! Voyant le nombre de résumés, ces personnes semblaient certes intéressées à me considérer, mais ils refusaient texte sur texte, sous prétexte que... il y avait trop d'hommes, dans mes romans. Si, si.
C'est alors que par courriel, l'assistant de l'éditeur m'avait expliqué ce qu'il fallait, dans un 'roman historique'. Que cela se déroule dans un village, que le personnage principal soit une femme courageuse. J'avais alors pensé : "Mais ce sont des marchands de saucisses!"
J'ai alors envoyé L'amour entre parenthèses un peu par dépit, parce qu'il était plus court que mes autres essais. Et c'est celui là qui a été choisi.
J'avais un beau titre représentatif du contenu, et ils l'ont changé pour une banalité. bien que mon titre soit demeuré... entre parenthèses. Ils ont aussi décoré mon texte de trois points de suspension, une cinquantaine de fois. Je n'avais jamais vu de telles choses dans mes romans et j'ai toujours cru que le lectorat était assez intelligent pour se rendre compte des liaisons entre étapes du récit. Autre frustration : la petite étoile rouge sur la page couverture. Je ne savais pas ce qu'elle signifiat. Je l'ai appris : Tome 1. Première nouvelle! Il n'y avait pas de Tome 2 et il n'y en aura jamais.
Le roman a été mon meilleur vendeur, pour une première année : un peu plus de 2,000 copies. Sans doute à cause du beau dessin de la page couverture et aussi parce que cet éditeur a porte ouverte dans les commerces à grande surface. Le livre n'a eu droit à aucune critique importante.
J'aurais dû être content, non ? Non ! Parce que ce n'était pas un roman de la série Tremblay, à laquelle je tenais, parce que je me sentais dans une impasse chez ces gens, enfin parce que je n'ai jamais aimé ce roman. Question de perception : il ne m'a pas transporté lorsque je l'ai créé et je crois qu'il y a un aspect paresseux de ma part quand je situe certaines actions dans des lieux qui n'existent pas.
Malgré des relations sporadiques avec ces gens, ils ont décidé que le roman serait disponible en format poche, en 2017. Une première pour moi. La petite étoile rouge est disparue, ainsi que la remarque 'Roman historique". Deux fois bravo! Le tirage était de mille copies. Ils en ont vendu 800 la première année. Le roman est toujours sur le marché, en cette fin de 2018.
En 2017, ces personnes ont repris contact avec moi. Lors de nos premières relations, il y avait eu le désir de publier un de mes romans de la série Tremblay, mais en le divisant en deux tomes. J'avais refusé. En 2017, ils ont encore soumis cette idée : encore non de ma part. De plus, ayant acheté le catalogue de mon premier éditeur, il a été question de lancer en format poche Le Petit Train du bonheur, mais tel qu'il était en 1998, en ne tenant pas compte de mes améliorations. J'ai aussi refusé. Pas de regret de ma part. Je crois cependant que je n'entendrai plus parler de cet éditeur...
L'extrait. Dans les romans d'époque du Québec, les religieux sont toujours des personnes méchantes, cruelles. C'est un cliché stupide. Dans Contes d'asphalte, le curé Chamberland était un homme de progrès. Idem pour mon personnage soeur Marie, enseignante pensant sans cesse à des méthodes pédagogiques nouvelles, à des approches dynamiques. C'est ce que l'on voit dans cet extrait, qui se déroule au début des années 1940.
Sœur Marie-Aimée-de-Jésus attend ses grandes filles dans sa salle de classe. Toutes ont suivi ses leçons d’histoire du Canada, il y a quelques années. Quelle chance, dans une vie, d’avoir Sœur Parenthèse deux fois comme enseignante. « Je vois des visages qui ont grandi en harmonie avec vos membres, mesdemoiselles », claironne-t-elle, en souriant. « Bien sûr, je vous ai croisées au réfectoire, à la messe, dans les couloirs, dans la cour de récréation, mais me voilà face à vous en toute liberté, telle une mère remplie de joie de retrouver ses enfants après une douloureuse séparation. Tant de bonheur dans mon cœur! Tout ce bonheur! » Les sourires illuminent aussitôt chaque visage. Marie vient d’établir le contact de confiance. La seconde étape consiste à raffermir ce sentiment par une parole inattendue et surprenante. « Il y a ici des regards d’amoureuses… Je les discerne! Reine! Regardez le visage de Reine! Allez, mademoiselle, chuchotez à toute la classe comme il est aimable et gentil, celui qui fait battre votre cœur. Nous vous écoutons. »
L’élève, embarrassée, se lève, pendant que la religieuse se penche, s’accoude contre le pupitre, les deux mains sur ses joues. Reine rougit, mais quand encouragée par un clin d’œil de Marie, elle s’exclame : « Il s’appelle Mathias, c’est un étudiant du séminaire et il sera avocat, comme son père! » Cette description ne suffit pas à la religieuse, qui se promène autour du pupitre, mains sur les hanches.
« Et les baisers?
- Ma sœur, tout de même…
- Vous voilà amoureuse d’un futur avocat qui ne vous a pas embrassée? Il ne connaît pas son sujet! Comment pourra-t-il alors plaider la cause de l’amour au tribunal du partage?
- Bien… Trois fois, ma sœur!
- En cachette?
- Ma sœur!
- Ce sont les meilleurs. Vous lui avez parlé d’histoire?
- Non, ma sœur. Il étudie fort! Je lui ai parlé de vous, de notre pensionnat et il connaît notre chapelain. »
Cette dernière remarque désamorce la religieuse, qui marche à petits pas le long des fenêtres, un doigt sur le menton, et, les bras tendus vers le plafond, elle tonne : « L’histoire! L’histoire vous aidera, mesdemoiselles, à trouver un bon mari! » Vingt regards incrédules la dardent. Marie recule d’un pas face à cette attaque, avant de sursauter et de présenter un discours devenant l’introduction générale des leçons à venir au cours de l’année scolaire. « Quel bon garçon de votre condition voudra épouser une sotte? Quand l’esprit s’embellit de bouquets de connaissances, de toutes couleurs, le cœur s’ouvre plus facilement aux plus nobles et beaux sentiments. Se montrer aimable et jolie, c’est très peu! Cela ne suffit pas! L’intelligence devient un impératif. Une femme intelligente peut parler de tout et capturer à l’hameçon des sentiments les plus beaux poissons… heu, je veux dire : les plus intéressants candidats! Je vous l’affirme, mes bien aimables élèves, que vous trouverez l’époux idéal grâce à l’histoire. Samuel de Champlain sera votre allié! Napoléon aussi et les rois de France! Even those British kings and queens! Des héros! Des vilains! Et même des héros pas trop vilains! Ils vous transportent partout à la fois, encore meilleur qu’au cinéma, car vous pouvez les imaginer mieux que ces bonnes gens producteurs de films. Je vous connais… Vous avez passé votre été à la salle du Cinéma de Paris ou au Capitol. J’ouvre ici une parenthèse : monseigneur nous a prodigué quelques lettres pastorales contre les dangers des vues animées et vous n’en avez eu cure. Je ne veux point manquer de respect envers notre évêque, mais je crois que son Excellence se montrerait plus flexible s’il se rendait voir des films plus souvent. Moi-même, vous savez… Pas plus tard qu’au début de juillet, j’ai enfilé ma robe secrète, chaussé mes talons hauts, me suis embellie d’un chapeau orné d’une rose et me suis présentée à la salle de la rue Saint-Maurice pour applaudir Jean Gabin. N’en parlez à personne! Je ferme la parenthèse. Bref, ce que vous vivrez dans cette classe cette année sera davantage captivant qu’au cinéma. Il s’agira de notre film, dont le scénario s’écrira avec nos sentiments, nos connaissances, et l’intelligence de chacune d’entre vous. En juin prochain, vous serez des jeunes femmes plus cultivées qui attireront ces Gabin de jeunes messieurs, qui soupireront, entre eux : oui, elle est belle! Oui, elle est aimable! Mais j’adore avant tout son intelligence! »
Commentaires
Avec les trois autres éditeurs, je n'ai jamais rencontré de problèmes aussi prononcés. On aurait dit qu'ils voulaient contrôler le contenue du roman et ceci, c'était désagréable.
Pas facile d être sur la même longueur d'onde
Bon wk