Sur un ton de comédie, Le rossignol des vues animées raconte les aventures de Zotique Lamy, jeune bourgeois désireux de faire l'éducation des masses grâce à une nouvelle invention : le cinématographe. Sur sa route, il rencontre Ninon de Sève, adolescente française, enfant de la balle, colérique, susceptible et rebelle. L'équipe itinérante, baptisée Lamitographe, produit des étincelles, grâce à la voix incomparable de la jeune soprano. Mais Zotique en voit de toutes les couleurs...
Dans l'extrait suivant, Ninon fait la découverte d'un appareil du nom de Mutoscope, ce qui l'excite beaucoup.
Une ville importante comme Ottawa connaît les vues animées et les amateurs pourraient sourciller en apercevant les coupures dans celles du Lamitographe. Voilà pourquoi Zotique ne s’attarde pas au quartier commercial, avec ses théâtres et ses salles de spectacles. Ninon le retient par la manche en voyant dans la vitrine d’une salle d’amusement la mention «vues animées». Aussi intrigué que Ninon, Zotique entre et cherche en vain un écran. Le responsable lui désigne une machine curieuse, svelte à sa base et surmontée d’une grande boîte circulaire. Il lui explique le fonctionnement: il n’y a qu’à déposer cinq sous, mettre ses yeux dans l’ouverture et tourner la manivelle pour voir des images qui bougent. Ninon trépigne tout de suite d’envie. Zotique la somme de se calmer, pendant qu’il essaie l’appareil, du nom de mutoscope. La vue n’est pas trop claire et son image sautillante passe en boucle continue. On y voit deux boxeurs qui se cognent sans cesse dessus.
«C’est du vol. Si c’est ça, la machine des Américains, je préfère mon projecteur français.
- Je veux voir! Je veux voir!
- Non, Ninon. Ce n’est pas un spectacle pour une petite fille de votre âge. Il y a des hommes nus et…
- Hein? Vite! Vite! Je veux voir!»
Zotique s’enlève de son passage, croise les bras et sourit, alors que Ninon tourne en vain la manivelle, ignorant que le temps autorisé a cessé. Il regarde une dizaine de machines semblables alignées militairement le long du mur. Touché par la candeur de Ninon, il consent à lui donner cinq sous, mais en la conduisant vers une autre machine, pour éviter que ses yeux se complaisent dans le spectacle violent et indécent des boxeurs. Ninon serre les poings, incapable de se calmer. Quand la pièce met la machine en marche, elle tourne d’abord doucement, puis plus rapidement, jusqu’à l’épuisement du temps.
«C’était une danseuse! Elle portait une jolie robe et faisait des pas amusants en montrant ses jambes.
- Quoi? Une femme qui montre ses jambes?
- C’est normal, pour une danseuse. Oh! Zotique! Je veux toutes les voir! Regardez ces machines avec des vues neuves!
- Avec toutes ces machines, on dépense cinquante sous. C’est un attrape-nigaud. Amoral, de plus! Des jambes de femmes et des poitrines d’hommes! Les Américains ne connaissent aucune mesure! C’est un peuple décadent.
- Juste une autre! Une autre! Je veux décader aussi!
- Décader... Et ça se dit française…
- Je vais être sage.
- Non.
- Espèce de mendiant plein de puces! Je vais me venger!»
Ce roman est le premier que j'ai écrit après avoir terminé le dernier tome de la série Tremblay. Il porte beaucoup la marque de mes travaux de recherche à la maîtrise, sur l'histoire des salles de cinéma de Trois-Rivières, bien que je me concentre sur le 19e siècle et les projectionistes ambulants. Ninon est un personnage formidable, surtout à cause de ses colères et aussi parce qu'elle a un répertoire d'insultes faisant passer le capitaine Haddock pour un ange.