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Titre du blog : Mario Bergeron, romancier du Québec
Auteur : Marioromans
Date de création : 01-01-2016
 
posté le 14-03-2019 à 00:19:45

Le père de Bérangère

 

 

Nous sommes à Paris, au coeur des années 1930. Jeanne Tremblay, de plus en plus incohérente et imprévisible, a été délaissée par son amoureuse Sweetie, repartie pour l'Amérique. La peintre déchue va d'épreuves en épreuves, cherche en vain à se faire une nouvelle amie, ce qu'elle réussit en la personne d'une jeune femme. Mais quand Jeanne tente une approche plus... personnelle, elle se retrouve sans copine et prend la plus puissante cuite de sa vie, puis rencontre... Un extrait de Le destin de Jeanne.

 

 

 

Jeanne pleure, alors que son œil enfle. La scène n’émeut pas le propriétaire du bar, las d’entendre cette femme lancer des jurons à tout ce qui passe devant elle. Les deux précédents ont fait preuve de moins de patience. La voilà jetée à la rue avec peu de gentillesse, si bien que la Canadienne s’écrase sur le trottoir, puis se traîne jusqu’au rebord, tombe sur ses flancs. Elle recommence son Niagara de tristesse, quand soudain, un jeune vagabond approche et s’assoit près d’elle pour réclamer des cigarettes.         

« Mon amie m’a quittée après m’avoir frappé. Regarde mon œil au beurre noir. Puis mon autre amie a aussi fiché le camp à Vancouver.

-  Tous pareils! Dis, la belle… Une clope? »        

Jeanne se redresse pour atteindre son sac à main, mais s’écrase sur le côté. Le jeune homme lui vient en aide, constatant que cette femme est profondément ivre. Son pain quotidien, quand on vit dans la rue, sous les ponts. Il la reconduit jusqu’à un banc, a peine à la garder en équilibre.        

« Bordel! Il n’en reste que deux. J’ai sûrement encore un peu de fric et je vais aller acheter un paquet et…        

- Hé! Tout doux, la belle! Tu ne peux marcher dans cet état. Donne ton oseille. Il y a un débit de tabac à deux coins de rues d’ici. T’inquiètes pas, je vais te ramener ta monnaie. Je suis honnête.        

- Je suis capable de faire mes courses et…        

- Tout doux, j’ai dit. Reste ici et je reviens, la belle.        

- C’est vrai que je suis belle? »        

À son retour, le vagabond voit Jeanne écroulée au sol. Il a du mal à la replacer sur le banc. Le temps d’ouvrir le paquet de cigarettes qu’elle vomit et retombe. Il fouille dans le sac à main, à la recherche d’un mouchoir pour lui essuyer le bec. « Parle-moi de ce chagrin d’amour, la belle. Parler, ça fait du bien et… attends, je vais te l’allumer. Seule, tu n’y arriveras pas. » Jeanne divague et retrouve son accent, mis souvent au rancart pour éviter que les gens ne lui posent la question qu’elle ne veut plus entendre. Il écoute, hoche la tête, approuve, même s’il ne comprend rien.        

« Toi, t’es un vrai chum!        

- Mais oui, la belle.        

- Tu ne m’as même pas parlé de mon hostie d’accent. Tiens! Je t’offre un verre!        

- Il ne faut plus boire. T’as eu ta dose, non? T’es saoule comme un village irlandais et…        

- Amusant, ça!        

- Écoute, la belle, je…        

- Je ne suis pas belle! Je suis une grosse flapper! Mes amies m’ont rejetée parce que je suis mouche… moche…        

- T’as un toit? Une chambre? T’es chanceuse. Moi, depuis deux années, j’ai…        

- À boire, mon copain!        

- Je vais te reconduire à ta piaule. Marcher, ça va te faire du bien… Enfin... Si tu y arrives, hein… Hop! Un petit effort! Debout! Merde… Je ne peux pas te laisser comme ça. Les flics vont se lécher les doigts en te voyant ainsi. Le plus ils gonflent leur panier à salade, le plus ils ont de chances d’avancement. Où crèches-tu?        

- Par là.        

- Fais comme une grande fille : un pied devant l’autre. »         

Ce qui étonne le vagabond est que l’heure de marche n’a pas permis à Jeanne de dessaouler. Il y a eu deux arrêts dans des cafés pour lui permettre d’aller à la toilette. Le jeune homme avait alors l’impression que la clientèle complète avait les yeux rivés en sa direction. À une occasion, il a pu acheter un café versé dans un gobelet de carton et que Jeanne a avalé en deux traits, sans se brûler, alors que l’autre grimaçait de douleur en la voyant. La femme a aussi piqué six crises en croisant autant de bistros. Il écoutait ses discours sans dessus dessous, mais s’est aussi amusé de ses éclats de rire. Il lui a même enseigné à tendre la main pour demander des pièces aux passants. « Une autre cuite comme celle-là et ce sera utile de connaître la méthode. »        

En montant l’escalier, Jeanne passe près de tomber trois fois, alertant deux voisins, dont l’un a crié à l’étranger : « On est habitués, hein! » Contre toute attente, en entrant dans sa chambre, la pauvre se calme, puis se lance sur le lit. Le garçon se presse de chercher une serviette froide qu’il étend gentiment sur son front. Il fouille aussi les armoires pour trouver un peu de nourriture. Que du café et des biscuits. « Il va lui falloir un baril de café… Merde! Elle vomit encore! » De nouveau, il nettoie, lui parle calmement et, à sa grande surprise, Jeanne s’endort, puis ronfle quinze minutes plus tard.        

« Fichtre qu’elle était bourrée… J’ai fait ma B.A. et je mérite un peu de cette chaleur. La rue, c’est confortable le jour, en mai, mais la nuit, hein, c’est comme chez les Eskimos. Je vais préparer encore du café et demeurer une heure, pour m’assurer qu’il ne lui arrive rien de fâcheux. Il reste assez de clopes pour me faire du bien. Bordel qu’elle ronfle fort! »        

Quand Jeanne se réveille, au début de l’après-midi, elle a l’impression d’être la seule survivante sur Terre, que la fin du monde s’est produite au cours de la nuit, du moins jusqu'à ce qu’une auto klaxonne sur le boulevard. « Ah ouais… J’admets que cette fois, j’ai pris un verre de trop… » Se rendant vers le lavabo, elle a l’impression de tituber encore. Elle voit un pain, une assiette et un verre sur la table. « Qu’est-ce que ça fait là? Quelqu’un est entré ici pendant que je dormais? » Réponse sous la forme d’un mot griffonné sur un papier et déposé contre le verre. « J’espère que tu vas mieux, la belle. Merci pour les cigarettes, le café et l’affection. » Jeanne se gratte les tempes, fronce les sourcils, ne comprend rien, du moins jusqu’à ce qu’elle croque dans le pain. « Oui, c’est vrai… Un garçon est venu me reconduire… Il était gentil, je crois… »

 

 

Le temps qu'il faut, Jeanne réalise qu'elle est enceinte, mais n'a immédiatement aucun souvenir de ce qui est arrivé. L'épisode lui reviendra en mémoire un peu plus tard, mais elle ne se souvient plus du nom du garçon.

 

Sa vie prendra alors une autre direction : une lutte de tous les jours pour le bien-être de sa fille Bérangère. La pauvreté et les épeuves seront le pain quotidien de Jeanne, mais Bérangère n'en saura rien. Jeanne Tremblay sera une bonne mère.

 

De retour à Trois-Rivières pendant la guerre, Bérangère, née française, fera face à la xénophobie des Québécois, goûtera à la méchanceté d'autres fillettes parce qu'elle est une  enfant née hors mariage. Jeanne ne dira jamais à sa fille qui était son père.

 

 

Commentaires

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Marioromans le 17-03-2019 à 20:56:32
Je suis en train de faire une relecture (et améliorations) de ce texte, d'où ces extraits rapprochés.
chocoreve le 17-03-2019 à 20:24:57
Oh là là ce passage me rappelle trop un proche qui était toujours dans cet état d ébriété là, alors que j'étais enfant ! ...