Dans la seconde partie de Contes d'asphalte, le petit Martin représente une idéalisation de ma propre enfance. Ses jeux, ses manies et son entourage sont inspirés de faits véritables des premières années de ma vie.
Ainsi, en 1966-67, j'avais eu droit à la plus adorable maîtresse d'école que l'on puisse imaginer : Mademoiselle Huguette. Il n'en fallait pas plus que pour qu'elle devienne personnage de mon roman et que Martin soit fou d'amour pour ses beaux yeux.
Voici un extrait où Martin s'inquiète d'un sale tour que ce voyou de Gladu joue à l'enseignante.
La photo : la véritable Mademoiselle Huguette. Je suis à l'extrémité droite de la première rangée, près du religieux. Vous noterez que je suis le seul à ne pas porter de cravate et à avoir adopté le toupet Beatles.
Ah, les tours ! Un Art ! Particulièrement si vous avez un adulte comme victime. Il faut connaître son sujet, au risque de recevoir une raclée. Comme la fois où j’avais mis du sucre dans la salière en sachant que papa sale beaucoup sa soupe. Jamais plus… Mais quand ma mère prend en note un numéro de téléphone et qu’à son insu je change les 0 en 8 et les 1 en 7, maman peut apprécier ce genre d’humour. Je n’oserais cependant pas lui jouer un tour concernant ses livres.
Le mieux, avec les tours, est de se les faire entre gars. Quand il y a une colère, elle ne dure jamais bien longtemps et souvent les amis finissent par rire du tour dont ils ont été victimes, surtout quand ils décident de l’appliquer à un autre gars. L’école représente le meilleur endroit pour cette science. En trois années, j’ai été témoin des grands classiques, qui, à défaut d’originalité, demeurent toujours efficaces : la flaque d’eau sur la chaise de la maîtresse, la grenouille dans le tiroir de son bureau, les craies cachées. Mais quand je vois Gladu mettre une punaise sur la chaise de mademoiselle Huguette, je ne suis pas d’accord ! Je veux le dire à mademoiselle, mais Gladu menace de me couper le cou, tout en brandissant son poing noir.
Voilà mademoiselle Huguette. Elle entre. Elle est contente. Elle nous souhaite une bonne journée. Si belle ! Elle marche doucement, s’installant devant le tableau. Je voudrais tant l’avertir, lui faire des signes ! Elle se retourne, va vers son bureau, approche de la chaise, se penche, se penche, se penche et je me bouche les yeux ! Elle se relève en criant ! J’ai honte ! Honte pour les gars qui trouvent ce tour drôle. L’objet meurtrier entre ses doigts, mademoiselle Huguette réclame l’auteur de ce méfait. Mon cœur parle et ma bouche s’écrie : « C’est Gladu, mademoiselle ! » Je ne trouve aucun appui chez les autres, si bien que nous sommes tous en retenue de récréation. Quelle cruauté ! Nous copions des pages de grammaire alors que nous entendons les cris des gars jouant dans la cour. Quelle sensation désagréable d’être en classe à cette heure. Mademoiselle Huguette, toujours fâchée, garde les bras croisés. Parfois, elle me regarde d’un œil accusateur, comme si je pouvais être son présumé assassin. La cloche sonne en cette fin de terrible avant-midi, signifiant surtout le cri de guerre de Gladu : « Comeau, t’es un homme mort ! » Il n’attend même pas d’être dans la cour pour me tuer. Il me frappe tout de suite et vise mes lunettes, comme un lâche. Je me défends comme je peux. Mademoiselle Huguette arrive pour nous séparer.
« C’est pas moi ! C’est lui, mademoiselle !
- Non, c’est lui ! Pas moi, mademoiselle !
- Cessez ces jérémiades tout de suite ! Serrez-vous la main comme deux bons enfants.
- Serrer la main à lui ? À lui ? Mais, mademoiselle ! Je vous aime tant et je voulais vous défendre contre lui ! Je ne pensais qu’à vos fesses, mademoiselle ! »
Je ne sais pas pourquoi j’ai dit une telle chose… Toujours est-il que pendant que Gladu fait les cent pas dans la cour à aiguiser son canif vengeur, je passe l’heure du dîner dans le petit coin de la salle de récréation, surveillé par un jeune frère au regard reptilien. À quatre heures, Gladu m’arrache le sac d’école du dos en jetant tout son contenu au vent. « Ça y est ! C’est la guerre! » Richard, Junior et Daniel se lèvent comme un seul gars pour m’appuyer.
Commentaires
Je regardais du côté de mademoiselle, car le frère directeur m'avait éloigné d'elle.
Oui ! et le seul a ne pas se tenir face au photographe ! ...
Les tours ! J'adore cet extrait, que je trouve très léger, et drôle aussi (sauf le tour de la punaise hein ...) !
et surtout faire des tours à ses propres parents, là il faut le faire quand même !!!