Le destin de Jeanne se déroule au cours des dix années de Jeanne à Paris. Comme nous sommes au coeur de la Grande Dépression des années 1930, la Ville Lumière déborde de chômeurs, de vagabonds. Ayant grandi avec la présence de Gros-Nez, Jeanne se montre sensible à ces malheureux.
Vivant pauvrement, mais tout de même assez 'riche' pour se payer une chambre, la fille mère tend parfois la main, afin d'économiser son argent pour prendre soin de sa fille Bérangère. Il lui arrive de faire comme Gros-Nez : raconter une histoire aux passants, pour attirer l'attention, le tout en accentuant un accent paysan canadien qui n'est pas le sien.
On trouve quatre vagabonds sur la route de Jeanne, mais deux qui sont en vedette. Pétard, homme dans la quarantaine, qui s'est donné ce surnom parce qu'il... pète! Mais surtout Bébert, un beau personnage.
Bébert est dans la vingtaine et garde ses secrets de son passé. Il est un spécialiste pour fabriquer des cigarettes avec les mégots trouvés sur les pavés, aussi pour préparer de l'alcool explosif avec des fonds de bouteilles glanés dans les poubelles.
Bébert est un garçon intelligent et pour qui Jeanne développera une grande amitié. Par les temps froids, la femme lui permet de coucher chez elle. En retour, le vagabond prend soin de la petite Bérangère.
Il quittera Paris et Jeanne apprendra la vérité sur son ami : Bébert, Louis de son prénom, est marié et a eu une profonde dispute avec son épouse, après avoir perdu son emploi dans un hôpital, car il est infirmier. Il a alors fiché le camp à Paris, dans l'espoir de trouver un nouveau poste, mais s'est retrouvé à la rue. Bébert sera au centre du destin posthume de Jeanne, dans le roman suivant : Le cochon de Bérangère. Pour l'instant, voici le vagabond à l'oeuvre.
« Les affaires vont bien, Bébert?
- Pas mauvais. Les nuits sont cependant fraîches…
- Avril est là et je le trouve enchanteur. T’as un peu de gnôle?
- La recette secrète de Bébert? J’en ai, mais je préfère garder mes bouteilles pour ces nuits. Quelques rasades et ça me réchauffe.
- Je te donne un paquet de Gauloises tout neuf en retour de quelques gorgées de ta recette. Tu n’auras pas à chercher des mégots sur le pavé pour te rouler des cibiches qui vont goûter la merde.
- Montre, montre…
- Voilà.
- Ah ouais… Ça sort de la manufacture, hein. Garde ma place et je vais te chercher ça dans ma poubelle. »
Les mendiants et vagabonds abondent, à Paris. Les plus âgés étaient des ouvriers d’usine ayant perdu leur emploi à cause de la situation économique. Déjà endettés, ils ont été chassés de leurs logements et vivent d’expédients, ayant perdu l’espoir de retrouver un poste. Les plus jeunes ont fait face à cette situation en terminant l’école, ou sont les enfants des malchanceux. Plusieurs proviennent de petites villes ou de villages de la province, ayant cru alors qu’une grande ville comme la capitale regorgeait d’emplois. Pour eux, c’est une façon de vivre et Jeanne sait qu’ils ne voudraient plus connaître autre chose. Comme au Canada, plusieurs ont inventé un nouveau nom pour effacer celui de leur ancienne vie. Si la petite Jeanne a grandi aux côtés de Gros-Nez, elle a croisé un Grandes-Dents parisien, dépourvu de cet attribut. Bébert s’appelle Louis, mais ce dernier prénom ne va pas à la réalité de ses cheveux en broussaille, de sa barbe et de ses pantalons troués. Jeanne aime bien leur parler et les abreuver de cigarettes, ne pouvant pas leur donner d’argent. Ces pauvres hères débordent d’humour, ont toujours quelque chose de croustillant à raconter. L’alcool et le mauvais vin font partie de leur quotidien, souvent fabriqué avec des restes de bouteilles glanées dans les rebuts.
« Des vraies de vraies! Un régal! Toi, t’as de la classe, Jeanne!
- Tu pourrais t’en acheter. Ce n’est pas coûteux.
- Avec quel argent je me procurerais les éléments de ma recette secrète?
- C’est juste.
- Guili, guili, la gonzesse Bérangère! Jolie môme! Je peux la prendre?
- Tu vas l’effrayer.
- Sache que je suis très joli! Guili et… oh, des touristes! La fortune!
- Comment sais-tu que ce sont des touristes?
- Ils ne se parlent pas entre eux, contrairement à des vrais Français. Regarde bien la méthode de Bébert. Cache la potion. »
Quel professionnel! Jeanne a eu du mal à ne pas rire quand il l’a présentée comme son épouse avec leur enfant, chassés d’un misérable taudis par un propriétaire avaricieux et cruel. Pendant que les touristes s’éloignent, parlant de la misère de la crise, Bébert croque dans ses trois pièces, projetant de se payer un café chaud et une brioche. Certains jours, il gagne plus cher qu’un manœuvre sans qualification. Cela dépend de la température.
Jeanne sera obligée de quitter Paris, car son frère Roméo, craignant une guerre, s'est déplacé pour la ramener à Trois-Rivières. Pendant que la France est encore libre, Bébert écrira une lettre à son amie. Il ne pourra le faire sous l'occupation, les Allemands refusant toute enveloppe destinée à qui que ce soit d'un pays allié.
Après la guerre, Bébert écrit à Jeanne, mais Roméo lui apprend le décès de sa soeur. Ayant crainte des propos de l'homme, Bébert laissera tomber. Maintenant père d'une fille prénommée... Bérangère, Bébert a rédigé ses souvenirs de vagabond de la Grande Dépression. Manuscrit refusé partout, jusqu'au jour où il y a acceptation, puis succès.
Entretemps, Bérangère retracera la lettre envoyée en 1947 et écrira à Bébert. Se développera une belle amitié épistolaire entre l'homme et le bébé qu'il avait jadis bercé.
Le succès du livre de Bébert aidera Bérangère à mieux connaître le passé de Jeanne et à retracer des tableaux réalisés par sa mère, à son arrivée à Paris. Peintre talentueuse, Jeanne Tremblay connaîtra une gloire posthume, grâce aux efforts de Bérangère et de Bébert.
Bérangère se rendra à Paris à quelques occasions, accueillie avec chaleur par l'ancien vagabond.
Commentaires
Ayant de l'attachement pour Bérangère, la fille de Jeanne, Bébert donnera le même prénom à sa propre fille, quand devenu père, au cours des années 40.
Bérangère est la fille de Bébert ? si je comprends bien ?
tu me diras ...