Voici le plus jeune personnage de toutes mes créations. Un chapitre complet de Une journée, une rue, cent personnages, le meilleur de tous mes romans.
Le bébé ouvre doucement ses yeux, étonné de ne pas voir sa mère et de constater que la pièce est encore plongée dans la noirceur. La fillette se sent si bien qu’elle ne pleurniche pas. Elle tourne la tête, agite ses petits doigts vers son chien de peluche, cadeau de sa grand-maman. Elle étire les bras, bâille. Le silence passe près de la faire retourner dans son doux sommeil. Dormir longtemps? Une bonne idée, sans doute, mais un réflexe inhabituel l’habite : descendre seule de ce lit. Quel défi de taille!
Elle se redresse, regarde au travers des barreaux. Si haut! Très souvent, elle a vu sa mère ouvrir la cage en soulevant deux crochets, dans le coin droit, l’un en haut et l’autre en bas. Elle les voit. Celui du bas ne lui cause aucun problème. La petite se dresse, tend la main vers le sommet, mais tombe sur le confort de sa couche. Elle recommence deux fois, avant de réussir. Elle pousse un peu avec ses pieds, voit le mur de barreaux s’éloigner un peu. Elle demeure surprise de son exploit, mais hésite à approcher du vide.
Le bébé s’assoit sur le bord du matelas, ses jambes balançant dans le néant. Elle regarde le plancher, sent que la distance semble immense. Assurément, elle se ferait mal. La petite se traîne et va chercher le chien, qu’elle jette en bas. Ça n’a même pas mené le moindre bruit. Pas si haut, après tout! Boum! Touchant le sol, elle perd l’équilibre par l’arrière, mais le chien amortit le choc. Les chiens, véritables ou de peluche, sont les meilleurs amis de l’homme et aussi des bébés. L’enfant demeure assise, stupéfaite, avant de regarder le lit, qui lui paraît plus imposant que la maison entière. Elle a réussi l’aventure dangereuse de descendre, comme une grande fille. Elle ricane, et, folle de joie, suce son pouce.
Elle rampe un peu, ivre de liberté, mais perd sa pantoufle droite. La remettre en place relève de la science la plus complexe qu’elle puisse imaginer. Par contre, retirer l’autre est un jeu de poupon. Avec ses mains, elle rejoint ses orteils, les touche une à une, comme si elle les comptait. Soudain, un petit rot la fait sursauter. La belle aurait le goût de sa sucette, demeurée dans le lit. Elle approche, garde silence comme si elle réfléchissait. Puis elle tire sur un bout de couverture, pendante. Trop difficile! Elle rechigne un peu, avant de se rendre compte que ses doigts sont aussi délicieux à sucer. Maintenant, l’enfant doit faire face à un autre problème : la noirceur. Chaque matin, sa mère ouvre le store, assure qu’une belle journée s’annonce. La fillette approche de la fenêtre. Aussi haut que trois montagnes! Elle observe et son instinct lui jure que c’est impossible, que le store représente une invention destinée aux mamans. La petite jette un furtif coup d’œil vers une chaise. Non, vraiment trop ardu de pousser ce meuble, grimper dessus et ouvrir le store. Il y a une mince lueur s’échappant de chaque côté. Elle constate alors que sa chambre n’est pas si sombre. Elle décide que la meilleure façon de débuter une journée consiste à jouer.
Le bébé se lève, tombe encore sur ses fesses, puis décide que marcher sur ses deux pieds est aussi une invention pour les mamans, pour son père et son grand frère. Ça ne la concerne pas. Tout va beaucoup mieux à quatre pattes, à la manière du chat de la famille et du vieux cabot de sa grand-mère. La seule façon valable de se déplacer. La voilà face à la commode, où sont rangés militairement les poupées et les animaux de peluche. C’est trop haut! Crier ne servira à rien et pleurer non plus. Il doit bien y en avoir un par terre… Gagné! Elle voit une poupée de chiffon sous la commode. Facile de s’y glisser et d’en sortir avec le jouet. La fillette traîne d’abord la poupée vers la fenêtre, avant de recommencer ce travail avec le chien. Assise confortablement sur sa couche pleine de caca, elle assomme le chien sur le plancher à quelques reprises, tout en riant, avant de le projeter au loin. Elle regarde les yeux de la poupée, puis enfonce avec force ses doigts dans ces trous, avant de lui tirer les cheveux. Elle la lance, pour savoir si le jouet aboutira plus loin que le chien. Ensuite, elle se traîne pour les chercher. Quel plaisir! Quel bonheur de jouer seule, sans avoir sa mère pour la surveiller, en train d’agiter une poupée en répétant inlassablement des mots impossibles à prononcer. Marmonner sans précision papa et maman sont des mots acceptables pour un bébé de son âge. Que lui importe le reste du langage! Encore une invention pour les vieux! Soudain, elle s’immobilise et sent un court jet d’urine la ravir. C’est chaud et si bon! Le bonheur! Maman va tout nettoyer. Le bébé sentira la poudre des milles à la ronde. La fillette adore l’eau sur son petit corps, surtout que sa mère chante toujours pendant cette tâche. L’enfant délaisse ses deux jouets, à la recherche d’un troisième. Rien à faire, cette fois. Elle sursaute en entendant la porte de la chambre s’entrouvrir. Le chat! Il ignore la petite maîtresse, se dirige vers la fenêtre. Elle l’y rejoint, agite les mains pour attirer son attention. L’animal la renifle, se frotte contre son corps, mais refusera sans doute de se faire projeter au loin. Elle n’arrive pas à capturer sa queue, désireuse de l’enfoncer dans sa bouche.
Le chat la sidère en posant le geste le plus surprenant qui puisse exister : il saute vers la fenêtre, se faufile derrière le store, dégageant ainsi un peu plus de clarté. Comment a-t-il pu réussir un tel tour d’acrobatie, lui qui est beaucoup plus petit? Sa jeune vie déborde de mystères inexplicables. Intriguée, la fillette regarde fixement dans la direction de l’animal. Elle se lève, émet quelques sons, puis dit : « Nou ». Ah? Un troisième mot? Minou? Rien n’arrête le progrès! Qui sait si dans plusieurs jours, elle ne s’exprimera pas comme son frère, un vieillard de six ans? Il en sait des choses, ce garçon! Cela ne l’empêche pas de s’asseoir par terre et de jouer avec elle. Il distribue des grimaces et elle agite les pieds et les mains, prise d’un fou rire. Quel joyeux drille, ce grand frère!
La princesse penche la tête quand le chat se lave le dessous de ses pattes. Elle tente de l’imiter, mais son expérience est interrompue quand l’animal descend de son perchoir. « Nou! Nou! Nou! » Cet indépendant l’ignore et marche nonchalamment vers la porte. Fâchée, elle se traîne vers sa poupée, davantage obéissante que ce tas de poils. Soudain, elle entend des bruits venant de l’extérieur. « Maman! » Plutôt le frère, ce héros si drôle! Quand elle lui dira « Nou », il se sentira très content et l’invitera à s’amuser.
Commentaires
Enfin, quelqu'un qui lit le texte au lieu de regarder la photo et s'en aller.
Oui, un chausson. Chaussette de nuit ayant un peu la forme d'une chaussure.
Voila qui est attendrissant ! une Jolie petite aventure, et qui est intemporelle.
Une pantoufle ? c est un chausson, chez nous, une chaussette chez vous j imagine ?
Bravo pour la photo du jour !!!
Jolie photo du jour