Nous sommes en 1921 et Jeanne Tremblay se rend à Montréal en compagnie d'une amie, grande admiratrice d'un nouveau comédien de cinéma : Rudolph Valentino. Le film qu'elles vont voir est The Four Horsemen Of The Apocalypse, dans lequel Valentino présente en Amérique du Nord un nouveau pas : le tango. Le public féminin n'a de regard que pour le bel acteur, mais Jeanne semble davantage intéressée par le tango. Un extrait de Perles et Chapelet.
Avant les images de Valentino, il y a le film sur les actualités, la chanteuse d’opérette, en plus d’un drame de l’Ouest. Personne ne regarde. Tout le monde continue à parler après avoir copieusement hué le début de chacun de ces spectacles. Je vais à l’entrée m’en griller une et parler avec un jeune placier.
« C’est comme ça tout le temps?
- Depuis un mois, mademoiselle.
- Elles sont folles! De vraies malades! Des fêlées! Il est bien, mais pas si beau que ça. Je suis venue pour la scène du tango. J’accompagne une amie.
- Vous l’aimerez. Il est aussi un excellent acteur.»
Voici enfin le bijou! Et le SI-LEN-CE... et BAAAAM! de faire l’orchestre! Quand le nom du bellâtre apparaît au générique, un frisson parcourt la salle. Le voilà! Elles crient! Les spectatrices crient! À chaque fois qu’on le voit, on entend un murmure. Quand la caméra le prend en gros plan, la folie s’empare de toutes. Lucie me griffe l’épaule en miaulant «oooh!», comme si cet homme de nitrate allait sortir de l’écran afin de venir jusqu’à elle et lui faire bisou.
C’est un film d’action. En fait, pas du tout une œuvre romantique. Le genre de film qu’habituellement les femmes ignorent. Et puis, il y a Wallace Beery dedans : ma tête de salaud favorite. Il paraît que le film dure deux heures. Je me lève, car j’ai envie de pipi, le goût d’en brûler une autre et chercher à voir clair dans toute cette histoire d’idole mâle. Je passe pour la pire des cinglées : me lever pendant que Valentino crève l’écran! Mon jeune placier de tantôt est avec un homme à l’air sérieux qui a entre les mains une petite valise, comme celles des médecins.
« Puis? Quoi de neuf?
- Vous... vous ne restez pas dans la salle, mademoiselle?
- Deux heures, c’est beaucoup trop long pour un film. C’est l’équivalent de deux films. C’est...»
Pas le temps de terminer la conversation qu’un autre placier lance de grands signes avec sa lampe de poche. Mon jeune et le vieux partent immédiatement vers la salle. Ils reviennent avec entre les pattes une fille évanouie. Le vieux sort les sels. Un médecin! Diable! Ils font venir un médecin à chaque représentation, car il y en a toujours une ou deux pour tomber dans les choux! Je retourne rapidement en dedans pour assister Lucie en cas d’une syncope. Je la retrouve le mouchoir à la main et le souffle haletant. À chaque plan rapproché, elle avance le bout du nez, les lèvres entrouvertes et les yeux humides. Cette image m’impressionne et me donne un goût incontrôlable de dessiner! Vite! Je rebondis à l’arrière pour un croquis!
Libérée de cette envie, je retourne dans la salle. Soudain, un cri commun me projette dans la réalité. Lucie me griffe à nouveau. C’est la scène du tango. À toi, à moi, ratata. Vrai qu’il le danse bien. Après la finale, le cinéma n’est qu’un lac de larmes. Les femmes hurlent de désespoir quand le fatal «The end» apparaît cruellement. Lucie a toujours les mains jointes et les yeux rougis. Je me lève, mais notre voisine ne bouge pas. Ça y est! Une autre dans le champ de pommes! Vite, doc! Les sels!
Commentaires
Pour moi, c'est toujours un plaisir de te lire ! @+
Je ne crois pas que ce soient des expressions québécoises, mais une façon de s'exprimer du personnage Jeanne, dynamique et anti conformiste, qui jongle avec le vocabulaire. Elle dira, par exemple, "Me voilà au neuvième ciel". Alors, elle peut tomber non seulement dans les pommes, mais les choux, les carottes, etc.
Pour l'autre notée : elle est assise sur un banc de cinéma, et elle doit obligatoirement se lever pour se rendre faire pipi.
La seule vraie québécitude langagière que Jeanne se permet sont des jurons habituellement utilisés par les hommes (du moins, à son époquie).
Merci d'avoir pris la peine de lire.
Je remarque que certaines expressions québécoises diffèrent des expressions françaises, par exemple, je cite, " Je me lève, car j'ai envie de pipi." Chez nous on dit "… car j'ai envie de faire pipi". Autre exemple, "… car il y en a toujours une ou deux pour tomber dans les choux ! " chez nous on dit, "… tomber dans les pommes". D'ailleurs, je vois que tu en parles dans la dernière phrase de ton article, " Ça y est ! Une autre dans le champ de pommes ! ". Cette fois-ci, il ne s'agit pas de choux, est-ce une erreur ou une autre expression québécoise ?
PS: Quand je dis "chez nous", je parle de mon coin, car en fin de compte chaque coin de France a ses propres expressions… comme au Québec !