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Titre du blog : Mario Bergeron, romancier du Québec
Auteur : Marioromans
Date de création : 01-01-2016
 
posté le 04-12-2019 à 08:54:26

Tremblement de terre et amour

 

 

La moindre chose réelle de l'histoire peut servir un romancier. Il y a eu de nombreux tremblements de terre (Tremble-terre, disait-on) en Nouvelle-France vers le milieu du 17e siècle. Le phénomène, dans la culture populaire, avait été immédiatement accompagné par des croyances religieuses relatives à la présence du diable, d'autant plus que ceci avait provoqué des incendies. Mon héros Guillaume était un de ceux-là, mais pas tout à fait son jeune ami Gaspard, pour qui ces événements auront un dénouement heureux.

 

 

 

 

Pour que Gaspard rencontre le plus souvent Barbe, Guillaume organise plusieurs soirées. C’est au cœur de l’une d’entre elles que la terre se met à trembler avec tant de violence que les pots et ustensiles tombent de leurs tablettes. Les cris d’effroi de Barbe sont aussi perçants que ceux du boulanger. Dans un coin, un garçon est agenouillé et prie en pensant que la fin du monde vient d’arriver. Son voisin se dit prêt à retourner en France à la nage. Guillaume sort à toute vitesse de la maison, comme la plupart des habitants du bourg. Cette fuite l’empêche de constater que Gaspard a été le premier à se rendre auprès de Barbe pour la protéger, la rassurer et essuyer ses pleurs. Quand il rentre, Guillaume voit ces jeunes gens se tenir les mains. Le tocsin hurle quelques minutes plus tard, car une maison a pris feu. Sans aucun doute que ce tremble-terre a fait voler les tisons de l’âtre vers les rideaux ou la paille disposée le long des murs, pour protéger contre le froid. Tous se lancent vers les puits et font une chaîne impuissante face au brasier. Une autre chaîne encore plus vaine se forme entre la maison déchirée et le fleuve. Guillaume a souvent vu les flammes briser tant de cœurs. Il se demande par quel miracle sa maison, si exposée au feu du fournil, a pu éviter un tel triste sort. Les hommes combattent le sinistre et les prétendants de Barbe profitent de cette occasion pour tenter de devenir des héros, entrant dans la maison touchée pour en extirper des meubles ou de quelconques objets.

 

 

«Quel était ce phénomène, monsieur?

- J’espère qu’il ne s’agissait pas de la colère de Dieu. Je ne puis vous dire, Gaspard. C’est la première fois qu’une telle chose se produit. En avez-vous déjà entendu parler en France?

- Non. J’ai eu beaucoup de peur, mon ami, mais mon cœur a tremblé davantage quand j’ai pris les mains de la demoiselle Barbe.»

 

 

Guillaume sourit brièvement, hoche la tête de satisfaction devant l’aveu. Il se couche un peu craintif, alors que beaucoup de gens ont envahi l’église pour demander au Divin de ne plus exercer son courroux contre eux et de les protéger du diable. La terre qui tremble et le feu qui attaque immédiatement une maison ne peuvent que symboliser la conquête du malin. Beaucoup se souviennent de la mort de tous ces nourrissons après le passage de la queue de feu dans le ciel, sans oublier la colère des aurores boréales du précédent hiver. Qu’aurait dit Atichasata? Guillaume ne peut s’empêcher d’y penser. L’Algonquin savait tout de la nature de ce pays, mais les descendants des siens sont aussi terrés que les Français dans la petite église. Juste au moment où il pense à ceci, le sol bouge encore, mais de façon moins spectaculaire. Guillaume se précipite tout de suite hors de son lit pour courir rejoindre les fidèles. Gaspard se dirige vers la maison où habitent Barbe et ses parents.

 

Le phénomène se produit de nouveau au cours des semaines suivantes, si bien que les convictions religieuses de chacun se mêlent à des théories alarmistes sur le diable. Et si tout à coup cette colonie, où vivaient paisiblement les Sauvages, se vengeait du conquérant français qui déploie ses armées royales pour détruire les Agniers? Lors de la cinquième secousse, Gaspard est chez Barbe. Elle s’agenouille tout de suite, sa mère se cache le visage entre les mains et son père s’écrie: «Dieu! Aie pitié de nous!» Gaspard demeure de marbre, ne dit aucun mot, comme s’il défiait cette nature maintenant si coléreuse. Barbe regarde alors Gaspard et sait immédiatement que ce garçon devient le seul à épouser. Pressé d’annoncer cette grande nouvelle à Guillaume, Gaspard court dans les rues, ignore les habitants à genoux, les mains au ciel. Il entre dans la boulangerie en riant fort et voit son ami recroquevillé dans un coin, une couverture sur la tête.

 

 

«Je n’aime pas cela! Cette insistance est un grand présage! De terribles malheurs nous guettent, Gaspard!

- Non, maître Guillaume! C’est plutôt le bonheur! Je vais me marier!  Que la terre tremble ou non, je vais prendre épouse et assurer ma descendance! Sortez le vin, monsieur! Buvons à mon bonheur!»