Nous voilà fin 1939, lors des élections provinciales du Québec. Roméo Tremblay, après avoir souhaité le triomphe du candidat Duplessis, se montre, quatre années plus tard, farouchement contre et devient un partisan du parti Libéral. Comme ces gens promettent le droit de vote aux femmes, il incite sa fille Renée à s'intéresser à la politique et l'oblige à l'accompagner à une réunion publique mettant en vedette le candidat libéral pour la région. Renée obéit, mais demeure indifférente à tout ceci. Indifférente et cynique !
Le spectacle commence par un salut au drapeau et l’hymne national, comme au temps de la petite école. Ensuite, tout le monde s’assoit et allume une cigarette, comme pour mieux apprécier le discours. Un moustachu se présente devant le microphone et offre la biographie de la vedette de la soirée. Lorsque le héros arrive, les hommes se lèvent et mordillent plus fort leurs cigarettes. Parfois l’auditoire rit, d’autres fois, il applaudit, mais je ne sais pas trop bien pourquoi. Mademoiselle Minou les imite. De temps à autre, elle me donne un coup de coude et me présente ses dents. J’esquisse un sourire d’embarras. J’ai soudain le goût d’aller vers le restaurant, quand mon père me retient par le bras en insistant : « Écoute ! Écoute ! » Le candidat jongle avec les trémolos en bougeant sans cesse sa main droite, pendant que la gauche demeure dans la poche de son veston. Avec une grande habileté, je réussis à dessiner quelques pas vers l’arrière et à me dégager de Mademoiselle Minou et de mon père, quand soudain, le candidat s’écrie : « Les femmes auront le droit de voter au provincial et d’être des vraies citoyennes ! Regardez ! Il y en a parmi nous ! Et des jeunes ! » Je jure qu’il me pointe du doigt ! Les hommes me regardent et je joins les mains sur mon bassin, pour avoir l’air davantage fillette. « Des jeunes femmes qui auront leur mot à dire sur l’avenir de notre province ! » Mademoiselle Minou me tire le bras gauche en levant son droit. Finalement, je réussis à déguerpir de son emprise pour me rendre au restaurant libéral boire un café libéral et manger un beignet libéral. J’ai le goût de demander à ces dames si le café de l’Union Nationale goûte autant l’eau de vaisselle que le leur.