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Titre du blog : Mario Bergeron, romancier du Québec
Auteur : Marioromans
Date de création : 01-01-2016
 
posté le 15-06-2020 à 01:49:22

Rien ne se perd

 

 

 

En 1978, j'ai assemblé divers courts textes, certains antérieurs à cette date, sous le titre de Chimencre (Chimère + Encre.) Parmi ces textes : une douzaine d'une série du nom de Contes d'asphalte. Il s'agissait de créer de courtes histoires dans le style contes et légendes, mettant en vedette des animaux ou des enfants de milieu urbain, sans oublier un extra-terrestre amoureux d'un poteau de feux de circulation.

 

 

 

 

Des années et des années plus tard, un roman publié portera aussi le nom de Contes d'asphalte. Dans la seconde partie, un enfant, Martin, se fait raconter des histoires par son grand-père Roméo. Or, trois de ces histoires datent de 1978, modifiées pour les besoin du roman.  Rien ne se perd !

 

 

 

 

Voici un exemple, mais cette fois, ce n'est pas grand-papa qui raconte, mais une action vécue par Martin et ses amis, joueurs de hockey contre ce vilain Gladu, ne se doutant pas qu'il devrait affronter la légende de la fille gardien de buts.

 

 

 

 

 

 

 

Boileau est hors d’état et ne peut continuer la partie. Son père va venir le chercher. Gladu prétend qu’il a gagné la joute par défaut. Je me propose de remplacer mon gardien blessé, le grand Therrien pouvant prendre la place de deux défenseurs. L’arbitre assure qu’il faut une équipe complète pour continuer. Je regarde les gars des autres clubs, à la recherche d’un gardien. L’arbitre dit que ce serait tricher. De toute façon, ces gars-là ne semblent pas intéressés à faire face aux tirs de Gladu.

 

         

 

 

« Moi, je vais le remplacer, ton gardien.         

- Yvette, ne te mêle pas de nos problèmes.         

- Je suis venue ici pour patiner et tu ne me laisses pas faire ! Si je joue, je vais pouvoir patiner. C’est facile, ton jeu.         

- Va donc t’amuser avec ta poupée ! »

 

         

 

 

Elle soupire, croise les bras, puis se lance vers le but, ramasse la mitaine et le bâton et s’installe, alors que les gars de l’autre équipe éclatent de rire en voyant cette fillette de sept ans si minuscule entre les deux poteaux.

 

 

 

« Martin, j’ai comme principe qu’on doit lutter jusqu’à la fin et ne jamais perdre par défaut. Avec toi et moi à la défense, aucun joueur n’approchera de ta sœur.         

- T’es malade ? Si Gladu lance, il va la décapiter !       

- Je te dis que non. Est-ce que je peux t’emprunter une gomme ? J’ai oublié mon paquet à la maison. »

 

 

         

 

 

 

Je n’ai pas le temps de protester que l’arbitre siffle le retour au jeu. Gladu glousse tout fort : « Ouah ! Une fille dans les buts ! Une chance en or de battre mon record de quatre-huit buts en une partie ! » D’ailleurs, à la première occasion, il fait siffler un boulet entre les deux jambes de ma petite sœur immobile. Yvette laisse tomber son bâton et son gant, patine jusqu’à Gladu, le frappe de trois coups de mitaine en disant : « Toi, t’es pas fin ! » Tout le monde rit. Et j’ai honte. Tellement honte !

 

 



 

Nos attaquants redoublent leurs efforts, mais Gladu soutire la rondelle à Junior et déjoue le grand Therrien qui avale ma gomme. Je me lance à plat ventre pour désespérément tenter d’arrêter Gladu, tout seul devant ma sœur. Il lance haut, ce chien ! Yvette tend la main, attrape le caoutchouc et lui tire la langue. Puis elle remet la rondelle sur la glace.

 

 

         

 

 

 

« Yvette, quand tu fais un arrêt, tu gardes la rondelle.         

- Pourquoi ?         

- Ne pose pas une question aussi compliquée et fais ce que je te dis ! »

 

 

 

Gladu, se pensant ridiculisé, patine comme un maniaque, tout comme ses équipiers. Les spectateurs scandent le nom d’Yvette pour l’encourager. Voilà quatre arrêts consécutifs de sa part ! Le grand Therrien se lance à l’attaque, bousculant du coude (mais proprement) les adversaires afin de nous faire gagner du temps. Énervés d’avoir été frustrés par les arrêts d’une fillette, les gars de l’autre équipe se mettent à jouer gauchement et mes hommes profitent de leurs erreurs pour marquer les buts nous permettant d’égaliser. Gladu rage de colère ! Il lance encore plus fort ! Yvette demeure calme et place toujours sa mitaine ou son bâton au bon endroit. Le grand Therrien fait du zèle pour ne laisser approcher personne. Gladu n’arrive pas à le déjouer. Pas une seule fois ! Et nous gagnons ! Le miracle ! Les gars veulent transporter Yvette sur leurs épaules, mais elle se contente de retourner au banc chercher sa poupée en lui disant : « Viens, Caroline. On peut patiner, maintenant. »