Entre 1947 et la première moitié des années 50, un quartier ouvrier pauvre de Trois-Rivières, se voit transformé grâce à une initiative dynamique de leur prêtre, le curé Chamberland. Une coopérative d'habitations ouvrières est formée et leurs membres peuvent réaliser ce qui était alors impossible : ces petits salariés pouvaient devenir propriétaires de maisons. Ces habitations étaient construites bénévolement par ces hommes, ne sachant pas s'ils deviendraient les propriétaires, car les maisons étaient tirées au sort. Avant tout : l'entraide, le partage, l'amitié et un but commun à atteindre.
C'est dans ce contexte que se déroule mon roman Contes d'asphalte, alors que Carole Tremblay, intellectuelle ravagée suite à un accident qui l'a rendue boiteuse pour le reste de sa vie, trouve le véritable bonheur. Par dépit, elle devient enseignante à la petite école de ce lieu, la paroisse Sainte-Marguerite, où elle rencontre Romuald, simple ouvrier, dont elle devient amoureuse.
Carole ne comprend pas pourquoi tout le monde parle de ces maisons et de la coopérative, jusqu'au jour où elle se rend, pour la première fois, sur le chantier de construction pour y rejoindre Romuald. Progressivement, Carole comprend la solidarité et la bonté exemplaires qui motivent hommes, femmes et enfants. Sa vie sera alors transformée.
Carole est surnommée Cendrillon, parce que la première fois qu'elle a rencontré Romuald, elle avait perdu une de ses chaussures dans une flaque de boue. Cendrillon motive le "Contes" du titre, mais le conte de fée se déroule au son des scies, des marteaux, de la poussière et de l'asphalte des rues.
Voici l'extrait de cette première rencontre.
« Romuald est un très bon ouvrier. Je crois même qu’il a de l’avenir dans la construction de maisons.
- Et vous ? Vous êtes un bon ouvrier ?
- Je ne serai pas modeste : il n’y a pas un clou qui peut crochir quand je suis dans les parages ! Parfois, les gars n’aiment pas me voir se mêler de leurs travaux. Il y en a même un qui avait cloué ma soutane, l’an dernier ! »
Carole sourit par politesse, puis regarde cette maison en construction, la trouve sinistre avec ses trous à la place des portes et des fenêtres, ses amoncellements de sable qui l’entourent, ses bouts de bois dépassant de partout. La jeune femme fait attention où elle pose les pieds, se dirige vers l’arrière et tombe nez à nez avec une de ses élèves. « Faire travailler une fillette de six ans à sept heures du soir dans le froid du printemps, alors qu’elle devrait étudier ! » se dit-elle, tandis que l’enfant part à la course chercher son père. « Ah mais c’est la petite maîtresse d’école ! » de faire en chœur les hommes, ce qui est suffisant pour alerter Romuald, occupé à l’intérieur. Il sourit à Carole en retirant ses gants sales.
« Salut, Cendrillon. Tu me fais une bonne surprise. Viens en dedans, c’est moins froid.
- J’ai à te parler, Romuald.
- Entre. J’ai du Coke. »
Carole avance et son pied gauche s’enfonce dans la boue. Sa chaussure y demeure coincée. Nul doute que ce rappel de leur première rencontre adoucit les deux regards un peu pointus qu’ils venaient de s’échanger. Carole s’appuie sur sa canne, incapable de se pencher pour prendre son soulier, au risque de perdre l’équilibre et tomber entièrement dans la boue. Romuald s’empresse de l’aider, mais la petite fille met la main avant lui sur l’objet et le tend à son enseignante.
Romuald aide Carole à marcher jusqu’à la maison. Deux planches enjambent le petit fossé entre la demeure et la cour. Carole hausse les épaules, signifiant à Romuald qu’elle ne peut risquer d’utiliser un pont aussi rudimentaire. Sous les moqueries et les sifflements des hommes, Romuald la prend dans ses bras, tel un nouveau marié à la porte de sa chambre d’hôtel pour la nuit de noce.
« Ce n’est pas un terrain pour toi, Cendrillon.
- C’est toi qui me dis ça ? Toi qui voulais tant que je vienne ?
- Tu risques de te blesser.
- Et la petite ? Tu ne penses pas qu’elle peut se blesser plus que moi ?
- Elle est avec Laurier, son père. Ce sera peut-être leur maison. »
Le curé Chamberland et deux hommes de la cooopérative.
Sur le roman, on peut voir une photo des maisons de la Coop.
La conversation première de l'extrait ne fait pas partie du roman publié. Lors d'un salon du livre, j'ai eu la surprise de voir approcher un couple âgé, me racontant qu'ils avaient fait partie de la Coop et qu'ils habitaient encore la maison construite alors. La femme me disait que j'avais bien décrit le curé tel qu'il était : très prompt et avec un langage franc. Son époux m'a raconté diverses anecdotes, dont celle de l'homme qui avait cloué la soutane du religieux. Ceci a été ajouté lors de mes corrections.
J'ai été très touché par ces deux personnes, ainsi que par les divers commentaires des gens de Trois-Rivières à propos de ce roman, car dans ma ville, même des années après son décès, le curé Chamberland demeure présent dans la mémoire collective.
Des romans de la série Tremblay publiés, Contes d'asphalte demeure mon favori.