LES FLEURS DE LYSE
Est-ce qu'on peut crier, pendant la projection d'un film ? Bien sûr, lorsque nous sommes en 1964 et que les Beatles sont en cause.
La même semaine, l’Impérial propose A Hard Day’s Night, le premier long métrage des Beatles. Comme tous les jeunes de Trois-Rivières, nous patientons dans la longue filée et grand-père fait vraiment incongru dans ce paysage turbulent. Les filles gigotent sur place, miaulent sans cesse des commentaires sur leur Beatle favori. Comme nous portons des cheveux longs, elles devinent que nous faisons partie d’un groupe et s’informent de notre répertoire, pour savoir si nous jouons des chansons des quatre de Liverpool. Baraque n’en peut plus d’être tant entouré de petites France Gall, mais il se tient quand même tranquille, ce qui laisse deviner que grand-père Roméo a dû lui parler du respect que chaque garçon doit démontrer aux demoiselles. Notre chanteur a l’air d’un chat retenu par une corde alors qu’à deux pieds de ses griffes, des oiselets juteux piaillent sans arrêt. À l’intérieur, les filles font craquer le plafond en hurlant quand George, Paul, John et Machin apparaissent à l’écran. On ne comprend pas leurs mots anglais. De toute façon, on n’entend rien non plus tant les filles parlent et crient. À la fin du film, les Beatles interprètent plusieurs excellentes chansons devant un auditoire survolté. Baraque boude. Il n’aime pas les cravates des Beatles, ni leurs vestons et leurs mimiques.
LE ROI DES CADEAUX
Un travail en Histoire transformé en roman, avec une grande fidélité sur ce qui s'est passé en 1931 et 1932 au cinéma Palace de Trois-Rivières, salle qui ouvre ses portes au début de la grande dépression et située dans un quartier ouvier Alexandre Silvio avait plus d'un tour dans son sac pour attirer la clientèle : une troupe de vaudeville, des concours d'amateurs, donner des présents en tirage et fabriquer lui-même la publicité du Palace, en utilisant un langage qu'on ne voyait pas sur les autres pubs, dont le fait de franciser des noms anglais. Il est exact qu'il avait rebaptisé le comédien Ken Maynard en Ken Ménard. Tout aussi vrai que les westerns étaient appelés "drame de l'ouest" Préparation d'une pub par Silvio et son assistant Eddy Gélinas.
« Je me demande si les chômeurs ont réellement besoin de montres, Alex.
- Et la fierté personnelle, mon Eddy? Je leur offrirais n’importe quoi qu’ils viendraient quand même. Et puis, ça se revend, une montre.
- D’accord.
- Là, tu mets le nom des vues principales.
- Sur une seule ligne?
- C’est en masse. Qui sont les vedettes?
- Ken Maynard et Joe E. Brown.
- Marque : Vue comique et drame de l’Ouest. Si c’est une vraie vedette, tu mets son nom, sinon, ça ne vaut pas la peine. À moins que… Tiens! C’est ça! Marque Ken Ménard! M-É-N-A-R-D. Ça fait plus local et le monde va s’identifier à ça.
- Comme tu voudras.
PERLES ET CHAPELET
Sweetie Robinson est une exceptionelle pianiste de salle de cinéma. Le public de Trois-Rivières se rendent à l'Impérial non pas pour regarder un film, mais pour entendre la jeune femme, qui joue le jeu du vedettariat.
La salle déborde, malgré le retour du beau temps. Sweetie entre par l’arrière, vêtue dernier cri. D’un geste gracieux, elle salue les spectateurs et s’installe telle une reine à son banc. Aventures et romance pour Barrymore. Sweetie a trouvé la musique qu’il faut pour les sentiments, le danger, les larmes et les rires. Elle l’interprète avec toute l’émotion de son âme, appuyée discrètement par les trois violonistes et le percussionniste. Habituellement, quand le film n’a pas sa propre partition, on a l’impression que les musiciens jouent ce qui leur passe par la tête. Pas avec Sweetie. On sent que c’est soigneusement mis en place, répété sévèrement. Tous entendent la différence. Personne au monde ne peut jouer du piano comme elle! À la fin du film, elle se lève pour saluer de nouveau. Elle se mêle à la foule, recevant son repas de compliments.
LE ROSSIGNOL DES VUES ANIMÉES
En 1897, le jeune homme Zotique Lamy se lance dans une noble aventure : faire découvrir les vues animés, en qualité de projectionniste ambulant (car les salles de ciné n'existaient pas.) Sur sa route, il rencontre Ninon de Sève, jeune adolescente française, qui deviendra sa partenaire. Le duo voyagera partout et produira même des courts films. Ninon est si folle de ces vues animés ! Voici sa réaction, la première fois qu'elle pose les yeux sur le phénomène.
Pendant ces longs palabres, Ninon ne cesse de regarder le projecteur, déposé sur son trépied et relié à la bonbonne. L’objet lui fait penser à une curieuse girafe mécanique. Elle se demande quel sortilège s’y cache. Elle commence à croire que l’histoire farfelue de Zotique est peut-être vraie. La petite aide la ménagère à étendre un drap sur le mur. Ensuite, elle s’installe sur une chaise droite, les coudes sur ses genoux, puis sursaute quand la machine éclaircit le drap. Sa bouche et ses yeux s’agrandissent sans cesse quand apparaissent sur cet écran improvisé des hommes et des femmes qui sortent d’un édifice. Puis elle voit les véritables vagues de la mer, des rues bondées de piétons et elle passe près de s’évanouir en voyant la cavalerie foncer. Elle pousse un cri et tente de se protéger le visage avec ses mains tremblantes.
L'HÉRITAGE DE JEANNE
The Hurricane était un mauvais film du début des années 1940. Pour sauver les meubles, ce produit se terminait par une spécialité hollywoodienne : des effets spéciaux. Je n'ai pu m'empêcher de transcrire mon impression, la première fois que j'ai vu la finale de ce citron.
Panique chez les indigènes ! Ils se réfugient dans des arbres, sur des bateaux (tas d’idiots !). Le vent ne cesse de faire sonner la cloche de l’église. Les autochtones s’y cachent et prient. Une hutte s’envole. Les arbres cassent et écrasent les gens. La cloche sonne. La maison du gouverneur s’écroule. Tant mieux, car il était le vilain du film. La cloche sonne toujours. Les indigènes supplient Dieu. Un arbre géant craque comme un cure-dent. Des vagues gigantesques viennent se casser sur l’église. Une fissure laisse passer l’eau révoltée. Les dalles du toit s’envolent. La cloche sonne. Le prêtre demeure dans son église pour prier. Ses fidèles l’imitent. Les vagues sont de plus en plus énormes ! Dorothy Lamour est décoiffée ! Ça crie ! Ça hurle ! Ça se noie ! Les fidèles prient. Le prêtre joue de l’orgue. Une vague enragée emporte l’église. Enfin, la satanée cloche cesse de sonner !