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Titre du blog : Mario Bergeron, romancier du Québec
Auteur : Marioromans
Date de création : 01-01-2016
 
posté le 02-01-2021 à 15:00:44

Le roi des cadeaux

 

 

 

 

Le roi des cadeaux est une version romancée d'un travail de recherche universitaire et qui m'avait permis de m'inscrire à la maîtrise en histoire sans avoir les prérequis nécessaires à cette étape.

 

 

En 1930, deux commerçants décident de faire bâtir un édifice imposant avec à son premier étage une salle de cinéma du nom de Palace. Le hic est que ce Palace avait pris place au carrefour de trois quartiers ouvriers et que nous étions au début de la Grande Dépression. La population la plus touchée par leŝ congédiements était celle du quartier du Palace. Logiquement : grands problèmes pour ce cinéma.

 

 

 

Les frères ferment temporairement leur cinéma et font appel à un homme de Montréal ayant la réputation de sortir du marasme les salles en difficultés : monsieur Alexandre Silvio, travaillant dans les cinés et le monde du spectacle depuis le début du 20e siècle.

 

 

 

Mon travail avait consisté à examiner toutes les publicités du Palace, de prendre des feuilles et des feuilles de notes. La pub du Palace était différente de celle des autres cinémas, car elle était fabriquée à Trois-Rivières même. Dès l'arrivée de Silvio, se surnommant "Le roi des cadeaux", la publicité prend une couleur très, très locale, étonnante et révélatrice des problèmes du Palace et de la lutte pour la survie autant pour Silvio que pour son équipe, où on croisait une troupe de vaudeville mettant en vedette Ti-Pit et Fifine.

 

 

 

Je me suis alors rendu compte que non seulement j'avais un excellent travail de recherche, mais aussi des personnages de roman. Le texte suit à la lettre tous les éléments de la saga du Palace et mes extrapolations comiques sur Silvio et sa troupe sont logiques, sans oublier que j'y ai ajouté la réalité d'ouvriers touchés par le chômage.

 

 

Ci-haut, une publicité pour la réouverture du Palace sous la gouverne de Silvio et un extrait relatant cet événement.

 

 

 

 

La rumeur parcourt chaque rue du quartier Notre-Dame-des-Sept Allégresses, se répand dans Sainte-Cécile et bondit même jusque dans Saint-Sacrement : la soirée sera gratuite lors de la réouverture du Palace. Le nouveau gérant s’est promené partout et il donnait de la gomme à mâcher, des bonbons et des cigarettes. Aimable, il parlait à tout le monde, tendait une main ferme aux hommes, souriait galamment aux femmes et désirait jouer avec les enfants. Un bon gars! Il a engagé une troupe qui se mêle à la population, distribuant des blagues aussi précieuses que les cadeaux. Fifine et Ti-Pit ont même déjà fait partie de la troupe d’Arthur et de Juliette Pétrie, la meilleure de la province de Québec. Pour cette grande soirée, Alexandre Sylvio va faire tirer dix billets de cinq dollars! Une belle chance à prendre! Pourquoi s’en priver ?        

 

« Gardez vos tickets! C’est pour les tirages! » de répéter sans cesse Eddy, alors qu’Alexandre demeure silencieux et très souriant, à ses côtés. Il porte une fleur à la poche de son veston. Impeccable! Les hommes et femmes de l’assistance sont aussi fort bien vêtus. Pauvres, mais fiers! Ils ont beaucoup perdu à cause de la situation dans les entreprises de la ville, mais rien ne les empêchera de paraître comme il faut. Tout le monde a assuré à Alexandre qu’ils n’ont pas abandonné le Palace mais que maintenant, chaque sou a son importance pour le bien de la famille.         

 

 

Ce soir, le Palace sera plein. Demain, il retrouvera ses deux cents spectateurs, jusqu’à ce que la rumeur des spectacles comiques vienne titiller l’esprit de la population. Alexandre a dix fois assuré les frères Barakett que tant que la situation de l’emploi ne sera pas revenue à la normale, la salle ne sera jamais pleine mais que, graduellement, il fera en sorte qu’elle le devienne aux trois quarts. « En décembre! » assure-t-il. Avec six cents entrées, il pourra rentabiliser la salle, payer Eddy, le projectionniste et les comédiens, mais en coupant un peu dans le budget consacré aux films. « L’illusion, messieurs Barakett, c’est la naissance de l’espoir. Et moi, la troupe, tous les gens du monde du spectacle, sommes les bateleurs de l’espoir en maîtrisant l’illusion. »        

 

Premier tirage! Second! Fébrilité sur chaque banc! Les gagnants s’exclament d’un « Ouais! » suivi d’un bref soupir d’insatisfaction de tous les autres. Arrivent les applaudissements quand le chanceux monte sur scène pour prendre le billet de cinq dollars des mains d’Alexandre. Qu’est-ce qu’il fera de cet argent, cet homme ? « Il a encore sa job, lui! » Oui, mais… sera-t-il chômeur dans six mois ? Il vaut mieux économiser la moitié de la somme. Pour le reste ? Pas de dessert fruité! Qu’un peu plus de conserves dans l’armoire, du fil à coudre, des mitaines chaudes pour la cadette.         

 

Quand le public sort, trois heures plus tard, Alexandre et Eddy saluent, omettant de dire « À la prochaine! » Il ne faut forcer la main de personne. Les gens, marchant doucement sur le trottoir de la rue Saint-Maurice, parlent de la belle décoration du Palace et du talent des cinq comiques, « surtout de la plus grande, celle qui s’appelle Fifine. » La Française parle avec tant de distinction! Et les films ? Ah oui… les vues… Quelle importance ? Ils sont américains, parlent la langue des patrons qui congédient. Tout le reste était Canadien français. « La fête est terminée, mon Eddy! Demain, la lutte va commencer. »

 

La présence de Silvio et des comédiens n'aura pas duré une année, entrecoupée par ce que le Palace n'avait pas besoin : un incendie de la scène et des dommages coûteux. Mais c'est fou comme cet homme et les siens ont lutté pour que la salle connaisse du succès! En juin 1932, Silvio est prié de retourner à Montréal avec ses comiques. Les frères Barakett arrivent à louer la salle au distributeur France-Film, qui rebaptise le lieu Cinéma de Paris, présent jusqu'à ce qu'un incendie détruise tout, en 1990. Peu de gens savaient  qu'il y eut un jour en ce lieu un Palace où Silvio faisait tirer des jambons et où Ti-Pit et Fifine présentaient un spectacle portant le doux titre de Move ton berlot.

 

Commentaires

ANAFLORE le 02-01-2021 à 15:10:02
Meilleurs vœux 2021