Plusieurs lectrices m'ont dit que j'étais un romancier féminin, non seulement parce que les femmes sont plus que souvent en vedette dans mes livres, mais parce que je savais décrire des émitions typiques aux femmes. Surprise de ma part ! Du moins jusqu'à ce que je croise cet extrait dans une relecture des Trésors pour Marie-Lou.
On pourrait croire que ce roman est dramatique, mais en réalité, il y a beaucoup de passages amusants, sauf que la seconde partie peut être considérée comme dramatique, à cause de la situation de la jeune Isabelle, grande amie de Marie-Lou. En effet, âgée de 19 ans, Isabelle devient séropositive, avec le probable destin de vivre avec le Sida.
À ce propos : une anecdote véritable. Au moment d'écrire ce passage, j'étais étudiant à la maîtrise à mon université et, à ce niveau, je pouvais emprunter un nombre illimité de livres à la bibliothèque. Nous étions fin décembre et je me présente au comptoir avec une dizaine de livres et de documents relatifs au Sida. L'employée m'a regardé avec des yeux très étonnés, avant de dire : "Tu t'apprêtes à vivre un congé de Noêl particulier..."
L'extrait est un retour en arrière, alors qu'Isabelle raconte ses réactions quand elle a appris tout ceci. C'est un peu long à lire, mais je crois que c'est un bel exemple de mes sentiments féminins.
J’ai d’abord eu un retard menstruel, un gros manque d’appétit et de sommeil, une fatigue presque continue qui m’empêchait de bien étudier et d’être attentive dans mes cours. Mon père, pendant une pause commerciale, m’a conseillé de me rendre à l’hôpital. La prise de sang s’est transformée en cauchemar. Le médecin, avec son air faussement décontracté, m’a demandé si j’avais déjà passé un test de dépistage du VIH. Quelle insulte! J’ai pensé qu’il me prenait pour une droguée ou une fille de port. Il a ajouté, sans trop y croire, qu’on n’est jamais trop prudent. Pendant qu’il parlait, je pensais à Yannick, à son empressement à visiter mon soutien-gorge, alors que j’aurais préféré un doux baiser.
J’ai demandé au médecin si je donnais des signes des symptômes du sida. Il m’a répondu que mon état pouvait être un faible indice trompeur, mais que je ne perdrais rien à en avoir le cœur net. Il m’a demandé si j’avais eu une transfusion sanguine, si j’avais déjà flirté avec les aiguilles. Alors, secrètement, j’ai passé les trois tests, devenant de plus en plus inquiète à chaque occasion, malgré les mots rassurants des infirmières. Quand on m’a téléphoné, après l’étape finale, j’ai tout de suite deviné ce qui m’arrivait, mais je n’ai pas voulu le croire tant qu’on ne me l’a pas dit de vive voix. Ce moment fatal passé, je suis sortie du bureau comme dans un film américain d’effets spéciaux : il n’y avait aucun bruit, sinon celui de mon cœur qui battait lourdement, enrobé d’écho. Tous les gens me regardaient, puis, graduellement, le couloir s’est transformé en une caverne d’un noir opaque. J’ai alors éclaté en un seul sanglot très sonore. Un homme s’est approché pour m’aider et j’ai hurlé que j’avais le sida. Il m’a tout de suite laissée tomber. J’ai marché quelques mètres, puis je me suis affaissée dans la neige noire, contre le mur de l’hôpital. Et j’ai pleuré, tellement pleuré que j’avais mal jusqu’au bout des doigts. Dans l’autobus, tout le monde m’examinait.
Je suis entrée à la maison à la vitesse d’une cartouche sortant d’un fusil. Ma mère a miraculeusement délaissé le téléviseur de la cuisine pour monter me demander ce qui m’arrivait. Je n’ai rien caché et l’attitude immédiate de rejet de maman m’a brisé davantage le cœur. Mon père, tout de suite informé par maman, a cependant attendu une pause commerciale pour monter me demander ce que j’avais fait. Il croyait que c’était une maladie homosexuelle, jusqu’à ce que ma mère lui dise qu’elle avait déjà vu une émission à TVA où on montrait des drogués sidéens s’échangeant des seringues d’héroïne dans un parc. Alors, mon père m’a demandé si mon état pourrait faire augmenter la somme de son chèque mensuel, à cause des médicaments dont j’aurais besoin. Mon frère, de son côté, m’a simplement dit que j’étais dégueulasse, avant de retourner écouter ses cassettes de métal. Bref, j’étais encore plus seule que dans mon couloir noir. Mon milieu n’avait même pas à me commander la honte, car j’en étais déjà débordante, comme une criminelle innocente, jugée et condamnée, se disant qu’elle récoltait ce qu’elle méritait. Après tout, le refrain de la prévention du sida, on me l’avait chanté sans cesse depuis la fin du primaire. Tout cela n’arrivait toujours qu’aux autres.
Quand le médecin de l’hôpital m’a référée à celui du centre pour sidéens de Trois-Rivières, je n’ai pas voulu m’y rendre, même si j’ai donné mon accord en hochant paresseusement la tête et qu’il lui a téléphoné devant moi. J’ai raté le premier rendez-vous, ainsi que le second. C’est finalement le médecin du lieu qui m’a rattrapée. Il avait une belle voix paternelle. J’ai regardé dix fois derrière moi, autant de chaque côté, pour m’assurer qu’aucun piéton, aucun automobiliste ne me voie pousser la porte du centre. L’homme m’a tout expliqué très doucement : les états de la séropositive asymptomatique, le stade symptomatique avant la grande finale orchestrale du sida déclaré. Il m’a rassurée en me disant que je pouvais être asymptomatique pendant des années, que l’étape suivante ne voulait pas nécessairement dire que ma vie serait un enfer. Puis il m’a parlé des médicaments, de la prévention pour que je ne contamine personne d’autre – tu parles! –, de l’existence du comité de soutien, avec ses bénévoles bienveillants, son psychologue, son personnel infirmier. Tous des hommes! Pourquoi fallait-il que je sois l’exception ? J’ai tout écouté distraitement, pressée de sortir de ce local et de ce milieu.
Ma seule façon de coopérer a été de raconter l’aventure de décembre 1995 et de ne pas hésiter une seule seconde à donner le nom et l’adresse de Yannick. J’ai appris par la suite qu’ils l’ont coincé et qu’ils lui ont fait passer le test. Je ne l’ai jamais revu. Ma mère m’a dit qu’il a téléphoné à deux reprises pour me traiter de salope. Je lui aurais sans doute donné raison, tant la culpabilité me rongeait. Je sais aussi qu’il a déménagé à Montréal en septembre pour commencer ses études universitaires. Voilà une des meilleures raisons du monde de ne jamais mettre les pieds dans cette ville.
Je n’ai même pas eu le courage de bien organiser mon suicide qui, pendant deux semaines, m’est apparu comme la solution la plus logique et saine. J’avais tellement honte que j’ai caché mon état à Marie-Lou, la seule personne qui pouvait pourtant me comprendre. Je ne voulais pas me présenter aussi sale devant ma si précieuse amie. Marie-Lou n’a cependant pas été dupe, voyant bien que quelque chose clochait chez moi. Quand elle m’a questionnée avec gentillesse, j’ai laissé tomber froidement la vérité. Ce raccourci m’a évité des larmes. Marie-Lou n’a pas pleuré, est demeurée consternée, abasourdie, avant de m’enlacer. Ma belle amie a alors passé tout son temps près de moi. Ceci a été très difficile pour elle. Puis, à la fin de mai, Marie-Lou s’est sentie coupable de mon état. Après tout, c’était son idée de me présenter Yannick, ami de Tristan, son mec du moment. Elle voulait qu’on sorte en couple, que nous soyons amoureuses en même temps.
Quel sera le destin d'Isabelle ? Une vie d'insécurité, des moments difficiles, des doutes. Immense amie avec Marie-Lou depuis les jours de la maternelle, les deux allaient faire face à un bris amical, faisant en sorte qu'Isabelle déménage à Québec, chez des amies vivant la même situation, et que Marie-Lou devienne folle amoureuse d'un gars. Mais l'une ne pouvait réellement vivre sans l'autre. Lors des retrouvailles, Marie-Lou voit Isahelle avec un sida déclaré. C'est la finale du roman.
Soudain, Marie-Lou entend des pas qui viennent vers sa porte d’entrée. Elle soupire d’impatience en pensant à l’insistance de ses amis artistes, alors qu’elle est à la fois si bien et si mal dans son blues, à ne rien faire, à tenter de ne pas penser à la mort de Renée, à l’absence d’Alexandre, au souvenir de Roméo et de Jeanne, aux visages d’Isabelle sur son papier. La porte s’ouvre et la longue silhouette d’Alexandre la fait sursauter. Marie-Lou n’a pas le temps de réagir qu’Alexandre aide Isabelle à entrer. Marie-Lou demeure consternée en voyant son amie amaigrie, les cheveux coupés à la garçonne, le teint très pâle et la toux éteinte. Isabelle demande pardon pour tous les mensonges ordonnés à Yolande et Mélanie. À son retour du Salon du livre de Rimouski, Isabelle a passé son temps à faire la navette entre son lit et l’hôpital. Elle voulait que Marie-Lou garde à jamais un beau souvenir d’elle. "J’ai mis beaucoup de temps à ne pas avoir honte d’être séropositive, mais je n’aurai pas le temps de chasser la honte d’être sidéenne."
Marie-Lou l’enlace avec fracas. Les deux se serrent fort et pleurent lourdement, comme des plaintes souterraines qui effraient Alexandre. Marie-Lou sent les os de son amie, sa peau rugueuse et ces gros ganglions dans son cou. Marie-Lou l’emmène à la fenêtre et, soudées, visage contre visage, elles regardent arriver l’an 2000, sachant d’instinct que les prochains mois seront extraordinaires, car elles les passeront ensemble, l’une pour vivre, l’autre pour mourir.
Commentaires
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Une fois j'ai ecrit un texte, utilisant le je. J'etais une meurtriere. Ecrit a la machine a ecrire sur trois ou quatre feuilles uniquement cote verso et double interligne. Ca racontait quoi ? Euh... m'en souviens pas...
Une femme de ton pays l'a fait, au cours d'une année et demie. Elle a lu 3 romans inédits de la série Tremblay, sans problème.
Bienvenue.
@Marioromans:
Je suis désolée pour la grosse faute dans mon commentaire, impossible de rectifier à présent. Où avais-je la tête ?
Merci pour ta proposition, ça m’intéresse.
@+
Grand-Regard a été refusé une quinzaine de fois. On ne me dit jamais pourquoi, mais je sais que les comités de lecture ne lisent que rarement les manuscrits au complet. Comme je l'ai indiqué dans un autre article, en me servant d'un scan du courriel de refus, ce tetxe était '"bien écrit" et le personnage vedette "très attachante" mais on l'a refusé. parce que "Nous ne saurions pas quoi faire avec."
Je vais te dire pourquoi c'est refusé : je ne suis pas les sentiers battus. Les textes n'ont pas de dialogues, aucune référence au Québec (ni à la France, d'ailleurs) et il y a un esprit venu d'une autre galaxie pour devenir ami avec Grand-Regard. Suffisant, non ? La dernière fois, je l'ai envoyé l'été dernier chez les gens ayant repris le catalogue de Marcel Broquet et ils ne m'ont jamais répondu.
Ma satisfaction, c'est de le faire. La publication et tous ces leurres, c'est de la poudre aux yeux. Si tu veux lire les Grand-Regard, tu me le dis, tu me communiques ton courriel et tu les auras après quelques secondes chez toi, pouvant les lire à l'écran ou sur une tablette.
Marie-Lou avait tout ce qu'il faut pour une approche inédite et originae, et malgré les bons mots de l'éditeur d'alors (Voir article suivant), on en a vendu autour de 250 et des gens adorant la série Tremblay ne savent pas que ce roman a déjà été sur le marché.
Le bonheur exclut se casser la tête.
Je n'ai jamais compris pourquoi les éditeurs canadiens, n'étaient pas derrière ta porte à te relancer. Franchement, je trouve que tu ais un romancier surprenant, sensible, drôle, original.
Tu sais raconter les histoires et tu sais captiver le lecteur.
J'ai toujours eu un penchant pour la personne de Grand-Regard, le personnage est fascinant. J’espère qu'un jour ta série sortira sur papier... on ne sait jamais !
Sans doute que oui, mais j'ai présenté ceci dans la logique du personnage. Un homme,.du moins certains, pourrait exprimer une colère physiquement.
pleures, honte, suicide ... est-ce que ce sont des sentiments féminins, devant cette situation précise ? les hommes controleraient-ils leurs émotions ?
Allons savoir ...