Ce texte a déjà été présenté sur Mario Multicolore. Je crois que c'est une bonne idée de le proposer ici.
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J'ai 62 ans et j'écris des romans depuis l'âge de 16 ans. Il y a eu trois étapes dans mon apprentissage de romancier : les premiers pas maladroits et beaucoup d'improvisation (1972-1990) ; une approche davantage pensée et travaillée (1991-1998) ; maturation (1999 à aujourd'hui). J'imagine que tout ceci a donné naissance à un style Mario B. Mon dernier éditeur m'a dit que j'étais un romancier professionnel et cela m'avait fait sourire, d'autant plus qu'il avait ajouté que je savais ce qui plaisait à une maison d'éditions. Encore plus rigolo, car je n'ai jamais, ô grand jamais, écrit une seule ligne en pensant que mon texte serait publié. Quoi qu'il en soit, je ne nie pas que j'ai appris beaucoup de choses à chacune des étapes : 1)- Développer des petits trucs 2)- Me discipliner 3)- J'ai appris ce qu'il ne fallait pas faire.
PLAN
Écrire un roman, c'est un voyage. Si on ne connaît pas la destination, c'est inutile de prendre la route. La première chose que je dois savoir, c'est la finale (Arrivée à la destination). Je ne suis pas le seul à penser ainsi et j'ai même déjà rencontré un auteur qui écrivait la finale, en premier lieu. Mes romans ont tous des plans, qui est un peu la carte routière du voyage. Parfois, le plan est rigoureux et à d'autres occasions, ce sont les lignes directrices de chaque chapitre. Je ne déroge jamais du plan que j'ai établi.
PERSONNAGES
J'ai toujours répété que je n'écris pas des histoires, mais bien des personnages. Ceci, c'est l'influence du cinéma chez moi (entre autres les films de John Ford et de Marcel Pagnol.) Les personnages sont définis à même le plan. Ils ne changent jamais de caractère le long du voyage. Je sais que cela me plaît et que, dans les salons du livre, les gens me parlaient davantage des personnages que de l'histoire de mon roman. C'était un indice que j'avais réussi.
DIALOGUES
J'ai souvent croisé des romans avec des dialogues interminables, du style commençant à la page 43 et se terminant à la page 48. Un roman, ce n'est pas une pièce de théâtre. Les dialogues de mes romans sont toujours brefs, vont à l'essentiel, doivent être 1)- rigolos 2)- marquer une transition importante. Depuis trois années, mes dialogues se limitent à quatre répliques. Une bonne idée et c'est dommage de ne pas y avoir pensé avant. Cela va encore plus à l'essentiel.
PAS DE DIALOGUES
Écrire un roman sans dialogues est beaucoup plus difficile. À ce jour, j'en ai une douzaine, mais aucun n'a été publié. Il semble que cela fasse fuir les éditeurs. Cependant, cette initiative m'apporte une grande satisfaction et je considère ces textes comme les plus réussis.
LE VOCABULAIRE
Je n'emploie pas de mots que je ne connais pas. Ne souriez pas : il y en a qui le font, le dictionnaire à leur portée, trouvant un terme pointu et l'incorporant dans leur texte, afin de paraître cultivé. Mes romans sont québécois, dans un français standard, où se faufilent des réalités québécoises Par exemple, le matin, les gens déjeunent, à midi, ils dînent et à cinq heures, ils soupent. Ce n'est pas le cas en France. Pour un roman se déroulant dans le passé, il y a des milles, et non des kilomètres.
Est-ce qu'il y a des mots d'argot ? Essentiellement dans les dialogues. Certains personnages ne peuvent, en toute logique, parler un français de qualité, de par leur éducation, leur culture, etc. Tout ceci dépend du roman. Mon roman Les Baveux regorge de joual, de blasphèmes et de vulgarités, dans ses dialogues. Bravo!
QUELLE PAGE BLANCHE ?
Merci à Tintin. Hergé publiait ses planches de Tintin dans une revue. À la dernière case, Tintin voyait quelque chose que nous ignorions. "Oh, capitaine! Regardez!" Pour savoir ce que Tintin avait vu, il fallait acheter le numéro suivant de la revue. Ceci, je l'ai mis en oeuvre au cours des années 1970. J'arrête d'écrire toujours au moment où il va se passer quelque chose. Ceci me donne l'assurance que dès le lendemain, je saurai immédiatement quoi écrire, sans avoir à réfléchir.
TEMPS
J'écris tous les jours. Quand je commence la création d'un roman, je ne prends aucun congé. Aucun. Il m'est déjà arrivé à quelques occasions de terminer un roman, de sortir une autre feuille et d'en commencer un autre immédiatement. Je ne passe pas mes journés à écrire : trente minutes au maximum. Par contre, le soir, je revois des romans déjà terminés, afin de les améliorer, car...
BROUILLON
Un roman terminé est un brouillon. C'est plein de mots qui se répètent, de passages déjà évoqués, de maladresses, car je ne fais pas attention à ces aspects en créant ce roman. Alors, je corrige. C'est un défi et cela m'amuse.
CE QUE LES ÉDITEURS M'ONT ENSEIGNÉ
Le tout premier éditeur m'avait dit que je gagnerais en efficacité en écrivant au temps présent, et non au passé simple, où des sons ont tendances à se répéter. Très vrai! Si bien que lorsque je croise un livre écrit au passé simple, je m'enfuis à toutes jambes.
Ils m'ont enseigné à éviter des sons répétitifs.
Ils m'ont aiguillé pour ne jamais répéter des mots dans une même phrase, paragraphe, page.
Ils m'ont appris à traquer les verbes être et avoir.
Les répétitions de toutes natures sont la hantise des éditeurs. Même si je n'écris pas pour eux, j'ai pris bonne note, car cela fait de moi un meilleur romancier.
THÈMES & CHAPITRES
La majorité de mes chapitres sont thématiques, n'abordant qu'un seul sujet, ou ils servent à se concentrer sur un seul personnage.
Le livre illustré ci-haut est un bon exemple. On y trouve 25 chapitres et chacun a un thème : amour, amitié, travail, hommes, femmes, enfants, épreuves, etc. Chacun des chapitres devient une petite histoire complète en soi.
Mes chapitres ont toujours le même nombre de pages : soit 20, soit 25. Bien sûr, après corrections, le nombre peut varier, mais il demeure approximatif de 20 ou de 25. Ceci me permet de me discipliner, d'écrire un chapitre en poursuivant un but. Pour le lectorat, cela devient une lecture plus harmonieuse, car ainsi, j'évite les longueurs.
CRÉATIVITÉ
Écrire un roman, c'est faire peuve de créativité. Ceci signifie surtout qu'un texte ne doit pas obligatoirement débuter au point A pour se terminer au point Z.
Le livre ci-haut reprenait une idée déjà présente dans Contes d'asphalte : il n'y a pas de chronologie temporelle, si bien que le personnage vedette peut avoir 32 ans dans un chapitre et 25 dans le suivant.
Dans Des trésors pour Marie-Lou, les seuls dialogues ont lieu entre le personnage Marie-Lou et moi-même. Pour nous engueuler, la plupart du temps!
Dans En attendant Joseph (et quelques autres), il y a alternance entre des passages narratifs à la première personne, puis d'autres descriptifs à la troisième. Ayant soumis ce texte à un éditeur, celui-ci m'avait répondu : "Tu vas mêler les lecteurs." Réflexion étonnante de la part d'un homme dont le métier est de diffuser de la littérature... J'ai toujours pensé que les lecteurs étaient des êtres intelligents. Ce n'était pas le cas de cet éditeur...
Dans Perles et chapelet, ce qui sépare les chapitres sont des extraits réels de journaux d'époque, puis, dans la première partie, des interventions de personnages extérieurs, servant surtout à prouver que ma vedette Jeanne est une incroyable menteuse.
Dans L'Héritage de Jeanne, les rêves fous du personnage Renée sont écrits en italique.
Bref, il faut varier la sauce, laisser l'imagination prendre place. Oui, des romans qui vont de A à Z, j'en ai écrit. Mais ne faire que cela deviendrait lassant. Écrire doit être un plaisir, et non un boulot routinier.
ROMAN HISTORIQUE
On m'a orné d'une étiquette : romancier historique. Je n'ai jamais utilisé ce terme. Ce n'est pas parce qu'un récit se déroule dans le passé qu'il est obligatoirement historique. Cependant, il y a des aspects maniaques chez moi, comme les films nommés dans L'Héritage de Jeanne qui sont précisément ceux présents dans les salles de Trois-Rivières au moment où il en est question dans le livre. Dans Le Pain de Guillaume, le nom du vaisseau emmenant Guillaume en Nouvelle-France est réel, tout comme le nom de Jeanne Aubert, véritable 'Fille du Roy'. Un roman comme Ce sera formidable est profondément branché sur le quotidien des gens de Trois-Rivières de la fin du 19e siècle, car j'ai alors consulté une grande quantité de journaux d'époque et ce que découvrais devenait souvent le thème de chaque chapitre.
Par contre, il m'est arrivé de dépeindre un événement dit historique faussement, car, il va de soi, les gens qui vivaient cet événement le faisaient avec leurs tripes et non selon l'interprétation future d'un historien. C'est le cas dans Petit Train du bonheur, où j'évoque le grand incendie de 1908 de Trois-Rivières, sans jamais le montrer, car, il va de soi, mes personnages ne se baladaient pas au milieu de l'incendie, mais s'étaient enfuis vers un endroit éloigné du sinistre.
Des questions ?
Les romans publiés :
Tremblay et fils (1996)
Le Petit Train du bonheur (1998)
Perles et chapelet (1999)
L'Héritage de Jeanne (2000)
Contes d'asphalte (2001)
Les Fleurs de Lyse (2002)
Des Trésors pour Marie-Lou (2003)
Ce sera formidable (2009)
Les bonnes soeurs (L'amour entre parenthèses) (2013)
Gros-Nez le quêteux (2015)
Le pain de Guillaume (2016)
Et une vingtaine d'autres qui ne sont pas publiés.
La splendeur des affreux est un roman qui se déroule dans la première moitié du 19e siècle. C'est un récit sans dialogues, ce qui est le cauchemar des éditeurs et un défi pour les créateurs. Les personnages en vedette ont de bonnes raisons de ne pas échanger avec autrui : l'un, Étienne a un défaut d'élocution et l'autre, son épouse Jenny, est muette. Ces deux personnages s'expriment donc à la première personne, comme la voix du coeur. Chacun a sa propre partie du roman, qui contient aussi une troisième séquence, avec leur fille Marie qui...
Vous verrez. Voici le début de cette partie du roman. Je suis certain que vous n'avez jamais rien croisé de semblable, comme narrateur.
Je m’appelle Marie Tremblay et je suis un ange. En fait, il est assez difficile de concevoir qu’un ange porte le nom de Tremblay, mais quand je vivais sur Terre, c’est ainsi qu’on m’appelait. J’avais onze ans, j’étais la fille d’Étienne, dit le bossu, et de Jenny, dite l’Irlandaise muette. J’étais écolière au couvent des ursulines des Trois-Rivières et je voulais devenir religieuse. Mais je suis morte le 16 juin 1832, peu après mon réveil. Non… j’ai tort de parler de réveil, car voilà trois jours et autant de nuits que j’étais prise de diarrhées violentes et de vomissements incessants. Ma peau avait pris une coloration bleutée.
Je savais que j’allais mourir. J’en étais très heureuse. M’opposer à la volonté de Dieu m’aurait condamnée à l’enfer. Je souffrais beaucoup, mais je ne me plaignais pas. La force de la prière me soutenait dans cette épreuve terrestre. Les ursulines priaient tout autant, non pas pour ma guérison, mais pour que Dieu m’accueille dans son paradis. Elles avaient descendu mon lit à la chapelle. Je suis morte en regardant Jésus sur la croix. Lui aussi a beaucoup souffert, quand il est décédé, mais il nous a laissé un bon exemple en ne pensant alors qu’à Dieu. Je priais et songeais sans cesse à la promesse faite à ma mère, un peu moins d’une année auparavant: où que je sois, j’allais la protéger et toujours demeurer près d’elle.
Dieu sait tout. Il n’ignorait donc pas que ma vie était sienne, que je l’honorais à chaque instant de tous les jours. Quand je suis morte, il y avait beaucoup de lumière blanche et de douceur. Mon ange gardien m’a accueillie pour me guider vers le paradis. Le Tout-Puissant s’est penché sur mon cas. La dernière pensée que nous avons avant la mort devient, en quelque sorte, un serment que Dieu respecte. C’est pourquoi il a décidé de faire en sorte que je veille sur ma mère. Pour atteindre ce but, il m’a transformée en ange gardien. Celui que ma mère avait jusqu’alors a été appelé vers une autre mission. Il m’a dit que ce n’est pas de tout repos de travailler comme ange gardien d’une Irlandaise. Cependant, de façon générale, tous les anges gardiens se disent d’accord pour avouer que les humains ne sont pas de tout repos.
Je suis maintenant la messagère de Dieu auprès de ma mère. Par exemple, quand maman prie, c’est moi qui porte ses offrandes au Créateur. La même chose pour ses confessions. Comme je suis dorénavant toujours près de ma mère, je le suis aussi un peu pour mon père, bien que celui-ci ait son propre ange gardien, très gentil et pas du tout bossu. Les anges voient et entendent tout. Ils sont de tout temps. Je connais l’avenir et le passé. Je sais qui étaient les ancêtres de mes parents. Beaucoup vivent au paradis, mais d’autres souffrent en enfer. Ce que j’ai vu, lors de mes premiers jours de ma mission d’ange gardien, m’a beaucoup chagrinée.
Je suis morte du choléra. Il s’agit d’une nouvelle maladie que les médecins et les hommes de science de la Terre ne connaissent pas. Des milliers de gens en meurent, alors que d’autres survivent. Les enfants sont très vulnérables face à ce fléau. Au Bas-Canada, les journaux avaient parlé de cette épidémie qui ravageait l’Europe. Plus d’un craignait l’arrivée des premiers navires d’Angleterre, persuadés que tous les immigrants étaient porteurs de la maladie. Voilà pourquoi les autorités de la colonie avaient institué un lieu de quarantaine, sur une grosse île, près de Québec. Tous les navires devaient y arrêter pour une désinfection. Pendant ce temps, les occupants se prêtaient aux diagnostics des médecins et, si je puis dire, étaient désinfectés à leur tour. Une bonne initiative par le genre humain, mais qui, malheureusement, s’était avérée inutile.
1. jakin le 16-04-2018 à 09:34:39 (site)
Bonjour Mario, ce soir je vais intervenir dans la présentation d'un exposé sur l'archange Gabriel...et je crois que je vais me servir de ta narration pour rendre plus digeste ce que je vais leur raconter....
2. Marioromans le 16-04-2018 à 16:25:29 (site)
J'avais alors lu un livre sur l'histoire des anges, avec toute la hiérarchie angélique, dont je me suis servi pour m'amuser.
En fait, l'ange gardien, c'est le bas de la gamme, les prolétaires. Mon personnage n'aime pas les séraphins et trouve les archanges prétentieux. Elle rigole aussi quand elle voit que les humains représentent un ange avec une harpe.
4. Maritxan le 21-04-2018 à 17:56:21 (site)
Comme d'habitude, j'ai plongé dans ton histoire dès la première ligne et je n'en suis ressortie qu'à la dernière phrase. Excellent !
5. Marioromans le 21-04-2018 à 18:02:46 (site)
Merci. Ce n'est qu'une toute petite partie...
6. Maritxan le 22-04-2018 à 16:07:38 (site)
@ Marioromans:
Oui bien sûr, ce n'est qu'une toute petite partie... mais ça promet !
@+
Un roman écrit sur un coup de tête, alors que je venais de lire consécutivement trois autobiographies. Ce type de livres est plein de clichés et se présente souvent prétentieux. Alors. j'avais décidé qu'une parodie du style pourrait être amusante à créer. Le titre est : Louis Roy : mon espoir, ma vie, ma carrière. Un personnage fictif. Dès son plus jeune âge, il avait décidé de devenir un artiste public, désireux d'imiter son grand-père, un vieillard avec toujours une chanson ou une histoire au bout des lèvres.
Louis Roy sera avant tout un pianiste et chanteur, mais il tournera dans des films, animera au petit écran et à la radio, jouera au théâtre, sera de la distribution de téléromans et écrira des livres. Le tout en dents de scie, pendant cinquante années. mais le personnage demeure toujours sympathique. Je me suis beaucoup amusé à déformer des noms, tels Charles Traîner, Félix Éclair, Françoise Hardiesse, Georges Brasser, etc.
L'extrait : Louis a quatorze ans et fait partie d'un groupe pour animer des soirées de danse, du nom des Rois du Rythme. Le groupe est appelé à accompagner des chanteurs et chanteuses, lors d'un concours d'amateurs au cinéma Rialto de Trois-Rivières, le tout diffusé à la radio. C'est là qu'il rencontre Peter, personnage caricaturel plutôt rigolo qui sera présent tout au long du roman. Nous sommes au début des années 1950. Bienvenue au Rialto !
Le Rialto a la réputation d’une salle de peu d’envergure, en comparaison avec le Capitol, l’Impérial et le Cinéma de Paris, mais à mes yeux, chaque samedi, c’est un palace, parce que je trône sur scène et que mon jeu de piano peut être entendu dans des centaines de foyers. Je sais que le public me pointe du doigt en chuchotant que « le pianiste est si jeune. » Ces trois-cents personnes applaudissent les concurrents, mais j’ai le sentiment que tout m’est destiné.
J’aime bien le technicien, toujours décoiffé, sa cravate détachée, sorcier devant tant de boutons. Il s’est vite présenté à moi, m’ayant vu dans les petits spectacles des Compagnons, alors qu’il accompagnait sa jeune sœur. C’est un photographe, attiré par les caméras du cinéma et de la télé, mais en attendant de trouver un poste, la radio lui permet d’acquérir de l’expérience technique. Son prénom : Richard, mais, bien sûr, il se fait surnommer Peter. Son nom de famille? Le même que son prénom. Richard Richard!
L’animateur, monsieur Massicotte, me semble blasé. Il ne parle pas beaucoup aux gens de l’équipe et quand il s’adresse à la foule, pour leur commander de ne pas siffler ni de crier, on jurerait qu’il est fâché. Cependant, dès que l’émission entre en ondes, il parle avec un grand sourire fendu jusqu’aux oreilles, avec un accent impeccable.
Les concurrents sont priés de chanter en français et le folklore est permis, à condition que les pièces proviennent des recueils de l’abbé Gadforêt. Hors la femme avec un blanc de mémoire que je viens de mentionner, il n’y a eu qu’un incident, attirant la sympathie du public. Un homme avait oublié les paroles, remplacées illico par une suite de « Là là là » avec invitation à promptement taper dans les mains. Pas gagné, mais chacun s’est amusé.
À la fin de chaque émission, des gens approchent de la scène pour connaître l’âge du « petit pianiste ». En fait, je ne suis plus petit. J’ai allongé subitement et j’arrive même à me raser à tous les trois jours. Ma mère m’en finit plus de réparer mes chemises et mes culottes, si bien qu’un jour, elle a tout jeté en ordonnant à mon père de me donner de l’argent pour renouveler ma garde-robe. Après l’émission, nous avalons un sandwiche dans la Ford de Pierre-Jean pour rouler jusqu’à Saint-Tite, revenir après minuit, se lever à sept heures et recommencer dans un autre village.
Les mois passent et je continue à prendre de l’expérience. Une chose semble certaine : monter sur scène ne m’énerve pas du tout. L’émission est populaire, mais les Rois du Rythme y demeurent anonymes. Le public n’a d’applaudissements que pour les concurrents. J’entends des gens doués, puis d’autres beaucoup moins. Ceci me permet de voir ce que je ne devrai pas faire, lorsque mon grand moment sera arrivé. Physiquement, la plupart de ces personnes sont statiques, avec parfois une gestuelle un peu cliché, comme mettre une main sur sa poitrine quand les mots Amour et Cœur font partie de la chanson. Vrai que pour la plupart, c’est la première fois de leur vie qu’ils voient un microphone et que Peter leur recommande de chanter devant l’appareil et de ne pas le quitter des yeux. Je m’entends bien avec ce jeune homme amusant, toujours décontracté. Il me surnomme « Fils ». Il adore le cinéma et peut me raconter cent films. Quand je lui ai dit que je n’ai jamais vu un vrai film de ma vie, à cause de la loi interdisant aux moins de seize ans d’entrer dans les salles, Peter a soupiré : « Laisse tomber cette niaiserie, fils! Présente-toi et ils vont te laisser entrer. Les salles perdent leur clientèle depuis que tout le monde s’est décidé à acheter un téléviseur. »
Ceci est le signet pour le salon du livre de l'Abitibi-Témiscamingue, édition 1998, tenu à La Sarre. C'est là que j'ai eu un coup de foudre pour cette région et pour ce salon. Mais ceci, c'est une autre histoire, que je réserverai pour des articles futurs. Le voyage en soi fut extraordinaire en surprises et en expérience de vie. On ne peut oublier!
Je ne devais pas y participer, mais l'éditeur n'avait qu'une auteure, qui s'était désistée. On m'avait alors demandé si je voulais la remplacer, puis toucher son cachet. Comment me rendre en haut de la carte? Alexandre, représentant commercial pour la maison, m'avait assuré qu'il passerait me prendre, car il avait affaire à Montréal. De plus, je pourrais gratuitement partager sa chambre d'hôtel. Une aubaine de A à Z.
Alexandre devait cogner à ma porte à neuf heures en matinée. Il est arrivé à onze heures. Nous avons dû arrêter en chemin pour qu'il puisse manger, si bien que nous sommes arrivés à Montréal vers trois heures. Son rendez-vous a été plus long que prévu et il était temps de manger. Nous avons pris la route vers l'Abitibi à six heures. L'expérience allait débuter!
Il fallait traverser les Laurentides au complet et nous étions encore loin de notre but. Une surprise des Laurentides : dans le village de L'Assomption, il y a un gros hôpital, à flanc de montagne, et qui semble surgir du néant. Un coup d'oeil inhabituel.
Entre les limites des Laurentides et le début de l'Abitibi, il y a un parc faunique à traverser. Deux heures de route avec rien d'autre que de la forêt. (En 2010, j'apprendrai, à ma grande surprise, qu'il y a une halte routière, mais à l'intérieur de la forêt). Au bout de ces moments éternels, il y avait un restaurant. Alex décide alors de croquer un morceau, de se reposer un peu. En entrant dans le lieu : une tête d'original empaillée dans la salle à manger. Mais, surtout, des moustiques à profusion. Le temps de descendre de la camionette et d'entrer dans le lieu, ces insectes avaient eu le temps d'envahir le véhicule, si bien qu'en reprenant la suite de l'aventure, j'ai passé dix minutes à écraser des moustiques dans le pare-brise.
C'est dans ça, l'Abitibi ? Une forêt! Parfois surgit un village et à ses limites : re-forêt. En traversant Val-d'Or, Alex me demande de compter le nombre de bars, de tavernes et de brasseries de mon côté et il ferait la même chose. Autour de 25.
À onze heures, nous approchons de La Sarre, mais Alex se dit fatigué, désireux de boire une bière dans le premier bar trouvé. Le voilà dans un village du nom de Taschereau. Plein! Autre surprise : la serveuse est une Française, ayant acheté le bar en compagnie de son mari, pour vivre l'aventure du Nouveau-Monde. Elle ne sait pas comment remettre la monnaie, ne connaissant pas l'argent canadien. Voilà bien la dernière chose que je pensais voir au fond de l'Abitibi : une Parisienne !
Nous arrivons à La Sarre vers minuit trente. Alex réclame de passer au bar de l'hôtel pour une autre bière. La serveuse s'appelle Pussy. On ne la croit pas, jusqu'à ce qu'elle nous montre sa carte d'assurance-maladie : Pussy! "Ça doit te causer des problèmes, non ?" Amusée, elle répond que ce fut le cas quand elle habitait chez les Anglais, en Ontario. Quelques années plus tard, de retour à La Sarre, je raconte ceci à un jeune auteur, pensant que je blague. Alors, nous voilà au bar et je demande à la serveuse si Pussy travaille encore en ce lieu. "Non, elle est partie il y a trois ans." Pussy, c'est un petit chat, mais aussi, en argot, un autre type de minou féminin...
Le salon du livre est plein de surprises, mais la plus grande : la joie de la population de savoir qu'on a roulé pendant dix heures pour les rencontrer. Les Abitibiens sont des personnes très expansives et gentilles. Le second soir, il y a, toujours chez Pussy, l'ex syndicaliste Michel Chartrand, sujet d'un livre biographique. Je suis avec une femme du salon qui, le voyant, me donne un coup de coude : "On va aller le voir et parler avec lui!" Ce qui fut fait. Alors, on a veillé avec le légendaire jusqu'à deux heures de la nuit et Chartrand a payé toutes nos consommations.
Des choses étonnantes, inhabituelles, il y en a eu à chacune de mes visites en Abitibi, mais jamais je ne pourrai oublier la tête d'orignal, la Parisienne du bar de Taschereau et Pussy.
Comme indiqué précédemment, je suis retourné à La Sarre une seconde fois et, en 2013, j'avais l'argent pour une troisième occasion, mais aucun des deux hôtels de la ville n'a voulu mettre un cendrier dans ma chambre. Au second refus, je dis à la réceptioniste que son hôtel vient de perdre 600 dollars et la compagnie d'autocar abitibienne un 200 de plus, sans oublier une centaine pour mes dépenses dans la ville. Elle a gardé silence...
J'aurai l'occasion de vous raconter d'autres aventures abitibiennes.
Le danger des romans dits historiques est de transformer une fiction en un cours d'histoire, en paraphrasant ce que les auteurs ont glané dans des manuels de la science historique. C'est ignorer que les gens d'une époque donnée ont vécu la chose avec leur culture, leurs sentiments, leurs croyances, et non selon l'interprétation qu'en feront des historiens des décennies plus tard.
Ce sera formidable se déroule dans le dernier quart du 19e siècle. Joseph, mon personnage vedette, était friand de modernité, de nouveautés. Le plan du roman avait été établi en ce sens, en donnant de multiples coups de sonde dans les journaux de l'époque. Ainsi, dans le roman, beaucoup de choses qui peuvent paraître anecdotiques sont des réalités de l'époque. C'est le cas de cette démonstration de lumière électrique, tenue par des représentants de la compagnie Edison. Il va de soi que Joseph. témoin, trouve le tout fantastique. Pas le cas de sa petite amie Marguerite, davantage traditionnelle. Sa réaction a sans doute été la même que pour beaucoup de témoins. Vous verrez!
Quoi qu’il en soit, le grand jour du samedi, 20 avril 1889, date dont on se souviendra les dix prochaines générations, je suis présent, endimanché, à l’image de la plus grande partie de la population. Nous attendons le coucher du soleil. Le maire et ses conseillers s’agitent sur place, anxieux, entourés des représentants du géant Edison. Et soudain! Oooooh! Une clarté in-cro-ya-ble! Si nette et franche! Tout le monde applaudit et s’exclame avec joie. J’ai les larmes aux yeux, mais Marguerite cache les siens.
- Ça m’éblouit, Joseph! J’ai mal!
- Parce que tu n’es pas habituée. Enlève ta main et tes yeux vont s’adapter après deux minutes.
- Je suis certaine que c’est dangereux! Je veux retourner chez nous!
- Regarde les fenêtres de l’hôtel. Claires comme en plein jour! Un miracle, Petite Fleur! Un instant féérique de la modernisation, un moment qui…
- Je veux m’en aller à la maison! Tout de suite! »
Passé le nord de la rue des Champs, il faut allumer le fanal pour bien se guider dans le chemin qui mène vers les ponts. Encore plus noir au Cap-de-la-Madeleine! Pour une rare fois qu’il n’y a pas de chaperon entre nous, je pourrais profiter de l’occasion pour tenter d’obtenir un baiser ou prendre ses mains, mais Marguerite presse le pas. Je vois la faible lueur d’une chandelle éclairer une fenêtre de sa maison. Madame Turgeon veille avec cinq ou sept de ses enfants. Petite Fleur s’empresse de leur raconter comme la lumière de l’électricité attaque violemment les yeux. Une demi-heure plus tard, la mèche de mon fanal s’éteint et je marche à tâtons pour rejoindre les ponts, priant pour ne pas croiser un putois. La rue Notre-Dame a retrouvé la terne luminosité des lampadaires au gaz. Des badauds flânent et parlent du grand moment qu’ils ont vécu. Je me mêle à eux et tout le monde s’accorde pour affirmer que la lumière électrique paraît mille fois plus belle que l’autre.
La ville de Trois-Rivières ne retiendra pas l'offre de la compagnie Edison, se tournera, un peu plus tard, vers une autre entreprise. Seules les rues commerciales et celles des maisons bourgeoises seront éclairées à l'électricité.
Je me suis beaucoup amusé avec l'idée de l'électricité, dans ce roman, dont ce moment où Joseph met la main où il ne fallait pas en changeant une ampoule.
Quant à Marguerite, elle fera preuve de la même crainte envers le téléphone, le cinéma et quand Joseph aura l'électricité dans leur maison.
Commentaires
1. johnmarcel le 21-04-2018 à 06:04:14 (site)
Dins ch'nord on déjeune, on dine et on soupe comme par chez ti !
2. Marioromans le 21-04-2018 à 07:01:14 (site)
Comme dans tous les pays du monde. Il n'y a que la France avec cette histoire de petit déjeuner.